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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

toile grise… au ras du sol… les petits yeux brillant dans une figure bouffie… et les lèvres ouvertes sur une forte bouche où il manquait plusieurs dents…

Le frisson n’était pas celui de la peur, mais de la surprise…

En outre, et depuis la guerre, jamais il ne s’était trouvé si près d’un Boche…

Si près que leurs mains tendues pouvaient s’accrocher et leurs corps s’étreindre…

La même surprise, chez le Boche ; pendant deux ou trois secondes, ils se regardèrent ainsi… sans faire usage de leurs armes…

Norbert, le premier, leva son revolver et fit feu, à bout portant…

Le coup rata… et avant d’appuyer de nouveau sur la détente, sa main était prise dans l’étau puissant de cinq doigts de fer… pendant que l’autre main l’étranglait…

— Sale Français… au moins, comme ça, je te sentirai mourir !  !

Et un corps gigantesque pesa sur le jeune homme, les genoux sur la poitrine…

Norbert était très robuste… Il se débattit… mais il avait lâché son revolver… Le Boche, du reste, ne paraissait pas vouloir se servir du sien… Ce qu’il voulait, ce n’était pas la mort prompte du Français, mais la palpitation lente de la vie qui s’éteindrait, sursaut par sursaut, convulsion par convulsion, sous sa griffe de fauve… Une balle tue trop vite… En l’étranglant, la brute avait le temps de jouir de cette mort… Et Norbert avait compris…

Alors, au fond de ce fossé, ce fut une lutte silencieuse, affreuse.

— Je t’aurai, mon petit… soufflait l’homme.

Et Norbert, uniforme déchiré, yeux sanglants, râlait :

— Tu ne m’auras pas, vermine…