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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

compensée par le sourire d’un seul. J’ai honte de vous laisser voir ainsi le fond de ma pensée, mais voici l’heure inévitable de notre séparation… Nous ne nous reverrons jamais, sans doute… Et je n’ai pas le courage de vous laisser partir sans que vous ayez du moins deviné… quelle sorte… de sentiments vous laissez ici…

— Mademoiselle…

Il lui prit la main et la garda dans la sienne.

Elle baissait les yeux. On eût dit qu’elle était devant un juge.

— J’ai peur de vous causer de la tristesse et pourtant je ne puis pas vous laisser ignorer ce qui se passe en moi… Je vous jure, mademoiselle, que si mon cœur avait été libre, et s’il n’était pas tout plein d’un grand deuil, j’aurais été touché de votre attention. Si vous m’avez vu toujours silencieux, renfermé, fuyant même les entretiens dans lesquels vous tentiez de me distraire, ce n’est pas seulement parce que je ne pouvais chasser de moi un souvenir auquel se rattache toute mon enfance, toute ma jeunesse, c’est aussi parce que j’entrevoyais l’heure détestée où je devrais m’expliquer avec vous… Ma vie a été remplie par un grand amour… dont je porte le deuil… car je ne sais depuis des années, ce que ma fiancée est devenue… et j’ai peur… J’ai peur qu’à force de misères, de privations et de mauvais traitements elle ne soit morte en pays occupé… Vous le voyez, mademoiselle, je suis frappé trop cruellement pour qu’il me soit possible de m’abandonner à la joie de vous aimer…

Les yeux, d’abord baissés, s’étaient fermés complètement. Elle souffrait, son cœur battait à grands coups précipités… Et elle était pâle… pâle… Dans la main de l’officier ses doigts, qu’elle n’avait pas retirés, se glaçaient.

Elle murmura, très bas :

— Quel beau rêve !…