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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

léger accent relevait sa parole d’une note originale. Pas un de ces soldats n’avait jamais pensé que cette jeune fille était d’une race ennemie, et que son père jouait en France, depuis 1914, un rôle monstrueux. Comment pareil doute leur fût-il venu ? Leur soupçon se fût écrasé devant le luxe de cet hôpital et de ce château, devant le travail intense des usines et des fabriques qui, toutes, à la défense du pays, apportaient leurs efforts gigantesques. Sturberg n’était pas l’homme qui se cachait, mais, au contraire, il affichait son amitié pour la France, et cette amitié ne rencontrait en haut lieu aucune suspicion. N’en donnait-il pas des preuves constantes ? Par où, par quelle fissure le doute fût-il entré ?

Mais si un miracle s’opérait dans la santé de Simon, un autre miracle transformait lentement Isabelle.

Elle avait fondé cet hôpital pour obéir à son père, et, du reste, heureuse de lui obéir et de soulager des souffrances, puisqu’elle portait en elle toutes les compassions de la femme.

Dans les premiers mois, néanmoins, elle était restée, au fond de son cœur, l’ennemie. Elle soigna des blessés avec un dévouement sans borne, mais à ce dévouement la tendresse manquait… Elle accomplissait une tâche officielle, de son mieux.

Bientôt, peu à peu, au contact de ces empoisonnés qui lui étaient envoyés de tous les champs de bataille, sa mentalité changea.

Et tout d’abord, quels lamentables débris lui arrivaient ! Cadavres vivants où il restait à peine un souffle de vie !

Parfois, malgré ses soins, elle en voyait partir beaucoup pour le cimetière.

Puis elle avait la joie d’en voir quelques-uns, lentement, un peu plus chaque jour — on eût vraiment dit à regret — se retenir à la vie.

Ceux-là, du moins, lui restaient de longues semaines,