Page:Jules Mary - Les écumeurs de guerre.djvu/150

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
LES ÉCUMEURS DE GUERRE

traste singulier, presque déconcertant, qu’il y avait entre la pauvreté dont il se rendait compte et l’énormité de l’importance du document que cette miséreuse cachait auprès d’elle…

Il ne mentait pas quand il disait que ce document valait une fortune.

Et quelle fortune !…

Pas un membre de la famille impériale d’Autriche ou d’Allemagne qui n’eût sacrifié quelque part de richesse pour rentrer en possession de cette feuille de papier volée à Godollo par l’audace d’une jeune fille qui se vengeait…

Pas un membre du gouvernement de l’un et de l’autre pays !…

L’accusation formidable de la plus monstrueuse intrigue était suspendue sur ces têtes… prête à retomber, sous la colère du monde entier… et cette preuve de la Grande Honte et du plus grand des crimes, de pauvres vieilles mains, infirmes, aux doigts déformés, la détenaient, par hasard !…

Et c’était une volonté de pauvresse, têtue, obéissant à l’on ne savait trop quels ordres ou quels engagements ou quelles craintes, qui refusait de s’en dessaisir…

Sturberg, après avoir tapoté contre les vitres, se tourna vers elle.

Il avait fini sa première cigarette.

Il en jeta dans la cheminée le petit bout brasillant et fumant.

— Encore une ! dit-il… Et tâchez de vous décider vite, ma bonne mère…

Elle restait enfoncée, avec une obstination manifeste, sans un mouvement, au fond du fauteuil de moleskine, les mains jointes, le buste droit, le cou raide.

Grisette avait sauté de ses genoux pour regagner son panier et s’était remise à balancer à coups de pattes la pelote de papier.