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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

l’estimait. Les pauvres femmes la redoutaient, tremblaient en passant devant la loge. Elles avaient toujours un sourire engageant et des paroles de politesse, avec des conseils tout prêts si la concierge paraissait souffrante. Mais leur politesse ne s’arrêtait pas là… De temps en temps, sous quelque prétexte, elles lui apportaient une friandise… Il ne fallait pas avoir l’air trop pauvres… n’est-ce pas ? Mais cette générosité, presque obligatoire, allongeait les dépenses… Quelle catastrophe, si le proprio, mal informé, ou prévenu par des racontars insidieux, leur eût donné congé !… Misère vagabonde, pour laquelle, en ce Paris surpeuplé, elles n’auraient point trouvé d’abri… et qu’il fallait éviter par quelque privation nouvelle, qu’elles gardaient secrète. D’autres dépenses s’y ajoutaient… C’était le charbonnier qui leur servait leur carte en gros morceaux de charbon, et ces gros morceaux, les pauvres mains ankylosées de Noémie n’arrivaient pas à les casser… Quelquefois, une voisine l’y aidait, mais pas toujours, et alors, lorsqu’elle s’adressait, pour ce service, à un étranger, c’était vingt sous qu’on lui demandait… De même, quand ses jambes étaient trop enflées et se refusaient à toute fatigue, il lui fallait bien payer, parfois, certaines courses dont elle ne pouvait se dispenser…

Enfin, à côté de ce qui était l’obligation de la vie de tous les jours, il fallait compter les dépenses somptuaires.

Noémie possédait une chatte, Grisette, pour laquelle elle avait une tendresse maniaque, compagne de sa pauvreté, confidente de ses souffrances. On la lui avait offerte deux ans avant la guerre. Elle avait eu la faiblesse de l’accepter. Avant la guerre, le boucher, la plupart du temps, lui donnait du mou, mais, depuis les années terribles, il le faisait payer.

Pour l’acheter, elle se privait un peu par ailleurs, et cultivait soigneusement certaines herbes dont Gri-