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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

lion. Elle n’y avait aucun droit. Elle était seule, sans enfants, sans famille, seule comme les pierres du désert… L’Assistance publique lui allouait trente francs par mois. Une aide mensuelle qui lui venait d’une étrangère charitable lui apportait vingt francs de plus. L’Assistance augmenta sa pension de vingt francs. Elle disposait donc de soixante-dix francs… Il fallait vivre. Il fallait couper ses soixante-dix francs en toutes petites tartines qu’elle distribuerait, tantôt sur trente jours et tantôt, hélas ! sur trente et un !

Lorsque Pulchérie vint la retrouver, à l’automne de 1914, il y eut une embellie dans cette existence misérable : Pulchérie apportait un peu d’argent. Les deux femmes vécurent côte à côte. Puis, la bourse de la vieille fille se vida, malgré les économies. En outre, les premiers raids des zeppelins, en 1915, et bientôt après les bombardements par avions, affolèrent Pulchérie, qui fut atteinte de maladie nerveuse et dans l’incapacité absolue de tout travail. Elle n’eut plus, pour ne point mourir, que les secours distribués par l’État ou par les sociétés charitables aux réfugiés des pays occupés.

Ce fut alors, pour l’une et pour l’autre, la misère plus profonde que jamais, l’insondable néant, et le désespoir morne des jours et des nuits, dans la douleur sans remède.

Durant les mois qui précédèrent la mort de Pulchérie, voici quelle fût cette vie, parmi les prix exorbitants des denrées, les restrictions, les impossibilités et les longues, longues stations aux portes des épiceries et des fournisseurs et des marchands de bois et des marchands de charbon, sous la pluie, dans la fournaise de l’été ou le froid de l’hiver.

Elle payait pour sa chambre deux cents francs de loyer par an.

Pulchérie, pour la sienne, plus petite, avait payé cent cinquante francs.