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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

objets qui lui rappelaient quarante années d’une vie de misères. Qu’on la blâme ou qu’on l’approuve, elle était ainsi.

Elle ne sollicita point d’aumônes, mais des cœurs pitoyables vinrent à elle.

Les locataires de la maison la connaissaient et l’aimaient. Il y avait, parmi ces locataires, deux femmes qui n’étaient guère plus riches que Noémie. Elles furent malades à tour de rôle, d’une mauvaise grippe, et ce fut Noémie qui les soigna.

Elle se priva de chauffage et leur porta son charbon : c’était l’hiver. Il faisait très froid. La nuit, pour avoir plus chaud dans sa chambre, dont les vitres de fenêtre étaient couvertes d’arabesques glacées, ou plutôt pour se donner l’illusion d’un peu de chaleur, elle plaçait sur son lit ses deux chaises et un vieux fauteuil de moleskine dont on lui avait fait cadeau, et qui pesaient sur ses jambes. La maladie d’une des deux femmes empira. C’était une des ouvreuses qu’elle avait connue à Montmartre. Noémie alla quêter au théâtre, revint avec quelques francs. Elle fut garde-malade, la nuit et le jour, administra les remèdes, fit le ménage et la toilette de son ancienne compagne, lui apporta son dernier sou, mangea du pain et but de l’eau, tant que dura la maladie. Et quand vint la mort, elle ne laissa à personne le soin des démarches suprêmes, comme des derniers apprêts, l’ensevelit, après lui avoir lavé les pieds « parce qu’elle ne voulait pas laisser aux croque-morts l’occasion de faire des plaisanteries ». Elle fut seule à suivre le cercueil, boitant et traînant la jambe, en s’appuyant sur un bâton…

Quand vint la guerre elle eut un frisson de peur et se dit :

— C’est la fin !

Alors, elle fit son bilan. Elle voulait « tenir » comme les autres. Elle ne pouvait compter sur une alloca-