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LES ÉCUMEURS DE GUERRE

être… car Pulchérie n’avait-elle pas emporté avec elle le secret du document ?… Ce ne fut qu’après avoir prié que cette pensée leur vint.

Pendant qu’elles étaient à genoux, Noémie allait et venait, à tous petits pas. C’était une bonne femme de soixante-quinze ans, desséchée par la misère, très propre, et dont les grands yeux noirs, très enfoncés sous l’arcade sourcilière, avaient dû être magnifiques. Elle boitait et traînait la jambe. Elle était percluse de douleurs. Et quand elle voulut tremper une branche de buis dans l’eau bénite pour la tendre aux jeunes filles, afin que sur le corps de Pulchérie elles fissent le signe de croix, c’est à peine si elle fut capable de refermer la main, tant celle-ci tremblait, et tant les pauvre doigts chargés de rhumatismes étaient ankylosés par les exostoses…

Puis elle raconta, sans qu’on le lui eût demandé, comment la vieille fille était morte :

— Chaque fois qu’il y avait un raid de gothas, elle devenait verte. Il fallait la soutenir pour la faire descendre à la cave. Et pendant plusieurs jours après, c’était de l’anéantissement. Jamais je n’aurais pu croire qu’on fût si effrayé. Quand une bombe éclatait un peu plus près, dans le quartier, elle tombait évanouie… C’était sûr qu’un jour viendrait où elle ne serait plus capable de supporter la chose… J’avais beau la raisonner, me moquer… Quand c’est les nerfs qui prennent le dessus, ça vous retourne tous les sangs, n’est-ce pas ? Et c’est ce qui est arrivé… cette nuit… À la première alerte, elle n’y tenait plus… À la berloque, on la remonta, comme une chiffe. Je m’installai auprès d’elle. Et, voilà de nouveau la sirène. D’abord elle eut une crise de nerfs, puis ce fut une syncope… dont elle ne se réveilla que ce matin, vers huit heures… Elle me reconnut, me sourit… et tout à coup une bombe de Bertha a éclaté tout près… Alors elle m’étreignit, murmura quelques mots…