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raconter, sans rougir, à l’époque où cette affaire eut tant d’éclat. Rose Keller était une prostituée qui accepta d’abord les honteuses propositions du marquis, mais qui s’effraya ensuite de l’appareil extraordinaire de tortures que ce libertin déployait autour d’elle, peut-être pour se divertir de la crédulité et de la peur de cette fille ; elle fut tellement effrayée que, dès qu’elle se vit seule, elle rompit ses liens, se précipita par la fenêtre dans la rue, et risqua de se tuer pour échapper à la mort plus horrible qu’elle appréhendait. Elle se blessa dans sa chute ; et le sang qui coulait de ses blessures émut d’indignation le peuple rassemblé autour de la victime nue, toute bleue de coups, et criant vengeance. On eût mis en pièces le marquis de Sade qui se sauva de table, à moitié ivre, et fut poursuivi à travers la campagne par les paysans furieux. La fille porta plainte ; l’accusé fut arrêté, enfermé au château de Saumur, puis dans celui de Pierre-Encise à Lyon. C’était une première satisfaction donnée au scandale de l’attentat qui se réduisit, dans l’instruction, à des actes coupables de débauche, mais non qualifiés par la pénalité judiciaire ; l’accusation fut mise à néant par des lettres d’abolition et surtout par le désistement de l’accusatrice, qui se contenta d’une somme de cent louis, laquelle lui servit de dot l’année suivante. Mais les détails hideux de cette accusation ne furent point oubliés dans le public, quoiqu’ils se trouvassent plus ou moins entachées d’exagération et de calomnie.

Cette aventure ne fit qu’irriter davantage contre la société tout entière cet homme orgueilleux et passionné qui ne croyait pas avoir forfait en achetant à prix d’or le droit de commettre même un crime. Le marquis de Sade descendit alors de la sphère élevée où sa naissance et sa fortune lui avaient assigné une place ; il s’écarta des connaissances