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à dresser en théorie. Il se vengea de ce nouveau désappointement en lâchant la bride à ses mœurs, et en faisant rejaillir le scandale de sa conduite sur la femme innocente qui partageait son nom.

La mort de son père arriva un an après ce mariage néfaste. Devenu comte de Sade, quoique le titre de marquis lui soit resté, comme pour le distinguer de ses honorables ancêtres, et maître alors d’une grande fortune qu’il ne craignait plus de perdre au moindre caprice d’un rigide vieillard, il chercha, dans le tourbillon des plaisirs, les moyens d’étourdir l’amour incestueux qui le dévorait. Il ne savait pas en quel endroit était cachée Mlle de Montreuil, à laquelle il avait déclaré ses sentimens, et qu’il voyait prête à y répondre, quand on la lui enleva pour l’ensevelir dans un cloître : il s’épuisa en démarches inutiles afin de découvrir la retraite de sa belle-sœur ; mais, plus ses recherches étaient actives, plus la famille de Montreuil mettait de soin à les faire échouer. Enfin, il redoubla de folie et d’emportement dans ses libertinages, où il dépensait sa santé et ses richesses avec l’aide des roués de la cour et des plus méchans garnemens de bas étage. Tantôt il était le coryphée des orgies musquées du duc de Fronsac et du prince de Lamballe ; tantôt il se mêlait à des laquais dans d’ignobles saturnales. Initié aux mystères des petites maisons et des mauvais lieux, il avait déjà l’ambition de surpasser les prouesses licencieuses de ses compagnons de débauche.

Cependant on aurait tort de croire à la lettre les dénonciations de la veuve Rose Keller qui, le 3 avril 1768, conduite par le marquis de Sade dans sa maison d’Arcueil, y fut garottée et fustigée avec des circonstances obscènes, que Mme Dudeffant n’a pas osé décrire dans ses lettres à Horace Walpole, mais que les femmes les plus prudes se faisaient