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ternelle, il épousa la fille aînée de M. de Montreuil. Mais, au fond de l’âme, il maudissait la société, les lois, l’opinion, parce qu’elles ne lui avaient donné aucun appui contre le pouvoir despotique d’un père qui était maître d’ordonner le malheur ou la ruine de son fils ; au fond de l’âme, il songeait à revendiquer les droits méconnus de la sympathie, et à prendre de vive force, comme un voleur, le trésor qui lui appartenait, et auquel il n’avait pas renoncé : il avait la pensée d’un seul crime, pour l’accomplissement duquel tous les autres crimes lui paraissaient des jeux d’enfant ; il voulait rentrer dans la possession de son amante, que le titre de belle-sœur ne rendait pas sacrée pour lui. Dès ce moment, il esquissa son système de guerre secrète et de rébellion permanente contre l’ordre de choses établi dans le monde social.

Son ressentiment s’accrut de la tendresse que lui portait sa femme, qui mettait une sorte de religion à aimer l’époux qu’elle avait reçu des mains de ses parens : elle ne l’eût pas moins aimé, s’il avait été laid, sot et déplaisant ; mais elle l’aimait d’autant plus qu’il était charmant de figure, d’esprit et de manières. Le marquis de Sade, au contraire, ne la payait en retour que d’aversion et de mépris ; car il l’accusait d’être cause du chagrin profond qu’il avait conçu, lorsqu’il feignit d’étouffer pour elle l’amour dont il brûlait toujours pour la sœur de cette vertueuse épouse. Mme de Montreuil, se défiant de l’intelligence trop intime qu’elle remarquait entre son gendre et sa fille non mariée, éloigna celle-ci et l’enferma dans un couvent. Le marquis fut désolé de cette séparation, survenue au moment où il espérait se dédommager de la contrainte qu’il avait subie en se mariant, et rectifier les lois de la morale publique par les lois de la simple nature, suivant son système, qu’il commençait