Page:Jules Janin - Le marquis de Sade.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 54 —

trainte qu’on lui imposait, et répondit à son père qu’il n’aurait jamais d’autre femme que la plus jeune des filles de M. de Montreuil. Le comte, entiché de ses prérogatives de père et des idées de la vieille noblesse, s’arma d’une menaçante sévérité, et somma le jeune homme de ne pas sacrifier à des enfantillages un parti sortable et avantageux ; il lui donna à opter entre une prompte soumission et un prompt départ pour l’armée, avec la perspective d’un dénuement absolu et d’un oubli perpétuel. Le marquis n’ignorait pas que son père lui tiendrait parole, et le punirait de sa résistance par la privation de ses revenus ; or, il ne pouvait se résoudre à manquer d’argent et à se trouver réduit aux modiques appointemens de capitaine. Il fit de nouveaux efforts auprès du comte pour obtenir au moins l’ajournement de ce mariage qu’il redoutait, comme s’il pressentit déjà ce qui en arriverait ; il s’adressa ensuite à M. de Montreuil, qui fut encore plus inflexible ; il recourut en dernier espoir à Mme de Montreuil, qui lui ferma la bouche avec une réponse froide et impérieuse ; il supplia enfin la plus jeune des demoiselles de Montreuil de l’aider à vaincre ces difficultés insurmontables, et il la vit elle-même, toute en larmes, intercéder son père qui chancelait, sa mère qui la maltraitait, sa sœur qui ne pouvait que pleurer avec elle.

Rien ne fit : les deux chefs de famille avaient arrêté entre eux les conditions du mariage qui allait s’accomplir ; tout était irrévocablement conclu avant que le marquis de Sade se fut soumis à cette tyrannie. Tout à coup il changea de rôle et de dessein ; il ne s’obstina plus à réclamer la liberté du choix d’une compagne, il ne s’ingénia plus à créer des délais et des embarras qui ne pouvaient être éternels, il se prêta de bonne grâce aux exigences de l’autorité pa-