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les réunissait : il leur distribuait les rôles de sa comédie ; bientôt tous les rôles étaient appris, et, devant une brillante société de galériens et de grandes dames venues de Paris, on jouait la comédie du marquis de Sade. Tous ces pauvres fous jouaient leurs rôles à merveille, Le marquis remplissait le sien de son mieux, la fête se terminait ordinairement par les couplets qu’il venait chanter lui-même en l’honneur des dames et du directeur de la prison, le ci-devant abbé Goulmier, qui était devenu le protecteur, et, disons-le, l’ami du marquis de Sade. Tant pis pour l’abbé Goulmier[1] !

J’avoue que pour un homme quelque peu observateur, ce devait être là un singulier spectacle, une comédie de l’auteur de tant d’actions infâmes jouée par des fous, dans la cour de Bicêtre, et le marquis de Sade recevant avec un orgueil tout littéraire les applaudissemmens des galériens, ces compagnons de captivité !

Cependant il n’y avait pas de plaisirs innocens pour le marquis de Sade. Comma il était continuellement assiégé des mêmes visions de volupté meurtrière, il allait dans tout Bicêtre cherchant et faisant des prosélytes. Il était vraiment le professeur émérite de la maison. Il avait toujours dans ses poches, au service des détenus, soit un de ses livres imprimés, soit un de ses livres manuscrits. Il les jetait dans les cachots par un soupirail, dans l’infirmerie par dessous les portes ; sur le préau, il aimait à s’entourer de jeunes détenus dont il se faisait le professeur de philosophie et de morale, professeur écouté et applaudi s’il en fut. Il en fit tant, que bientôt les médecins de Bicêtre s’aperçurent que

  1. Une de ces comédies, s’il m’en souvient, se terminait par ces deux vers :

            Tous les hommes sont fous : il faut, pour n’en point voir,
            S’enfermer dans, sa chambre, et briser son miroir.