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de ces murs que pour aller à l’échafaud, et le condamné le regardait avec complaisance pour se fortifier dans cette idée que nous n’avons pas une âme immortelle. Puis il entrait dans ces parcs réservés à la folie, où l’homme, devenu une brute, s’abandonne à tous ses instincts et révèle tout haut les sentimens cachés de sa nature ; d’autres fois il s’amusait à regarder ces êtres informes, a moitié nés, vieillards à dix ans, accroupis sur la paille, et cherchant à comprendre d’un air hébété pourquoi cette paille est infecte et salie. Il était donc là dans cette prison en homme libre ; il était l’homme sage au milieu de ces fous, l’homme innocent au milieu de ces criminels, l’homme d’esprit au milieu de ces idiots. Il était l’âme de ce monde à part, il en était le génie malfaisant : on l’adorait, on l’écoutait, on croyait en lui. Ceux qui n’étaient pas assez heureux pour l’approcher, le regardaient de loin. Parmi tous ces grands coupables, tous ces grands criminels, et tous ces grands bandits dont l’histoire occupe l’une après l’autre les cent voix de la renommée (style impérial), le marquis de Sade était toujours le premier qu’on voulait voir, le premier qu’on voulait entendre ; c’était un phénomène parmi tous ces phénomènes. Cette vieille prison de Bicêtre toute courbée sous le crime était fière de son marquis de Sade, comme la galerie du Louvre est fière de ses Rubens ; bien plus, celui même qui n’entrait pas dans la prison, le voyageur qui passait sur la grand route, se disait on regardant ces murs, et sans penser à personne autre : C’est pourtant là qu’il est enfermé !

Quelquefois, car, après avoir été rudement traité, il finit par jouir de la plus grande liberté dans Bicêtre, le marquis de Sade composait une comédie ; quand sa comédie était faite, il bâtissait un théâtre dans la cour ; cela fait, il allait chercher ses acteurs parmi les fous de la maison. Alors il