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appartement reculé, on découvrit deux éditions de ses œuvres, en dix volumes, ornés de cent figures. On trouva dans ses papiers une immense quantité de contes, récits, romans, dialogues et autres écrits, tous empreints des mêmes ordures ; après quoi, en attendant qu’on le transférât à Bicêtre, on le conduisit a cette même prison de Charenton d’où il était sorti treize années auparavant.

Une fois prisonnier de l’empereur, ce fut pour toujours. Le marquis de Sade venait d’entrer dans la tombe. Là, pendant quatorze ans qu’il a encore vécu, le misérable s’est livré tant qu’il a pu à son penchant pervers. Rien n’a pu le guérir, ni le secret, ni le jeune, ni la vieillesse, cette sévère réprimande à laquelle les plus endurcis obéissent. Cet homme était de fer. Vous l’enfermiez dans un cachot, il se racontait à lui-même des infamies. Vous le laissiez libre dans sa chambre, il vociférait des infamies par les barreaux de sa fenêtre. Se promenait-il dans la cour, il traçait sur le sable des figures obscènes. Venait-on le visiter, sa première parole était une ordure, et tout cela avec une voix très douce, avec des cheveux blancs très beaux, avec l’air le plus aimable avec une admirable politesse ; à le voir sans l’entendre, on l’eût pris pour l’honorable aïeul de quelque vieille maison qui attend ses petits-enfans pour les embrasser. Voila l’énigme qui a occupé toutes les intelligences contemporaines, et qu’aucune d’elles n’a pu expliquer.

Lui cependant, habitué aux prisons, et sachant ce que c’était que la volonté de l’empereur, s’arrangeait de son mieux dans cette ville immense remplie de folie et de crimes qu’on appelle Bicêtre. Chaque jour lui amenait sa distraction. Tantôt il assistait au départ de la chaîne, et les forçats lui disaient adieu comme à une vieille connaissance ; tantôt il voyait entrer le condamné à mort, qui ne devait plus sortir