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pareil patronage le livre se vendit publiquement. L’acheta qui voulut l’acheter, et dans la presse quotidienne il n’y eut pas un homme assez courageux pour flétrir cette production comme elle le méritait.

Sur l’entrefaite, Bonaparte, revenu d’Égypte, rapportait dans sa tête ces idées d’ordre et d’autorité sans lesquelles la France était une dernière fois perdue ; Bonaparte, le héros, le vainqueur, le pouvoir, la grande pensée de notre siècle ; Bonaparte, le tendre époux de Joséphine, sobre, sévère, vigilant, méditant le Code civil et la conquête du monde. Jugez de son entonnement et de son dégoût, quand, en rentrant chez lui, il trouva les deux ouvrages du marquis de Sade, reliés et dorés sur tranche, avec cette dédicace : Hommage de l’auteur. Le marquis de Sade avait traité le général Bonaparte comme un membre du directoire. Quand Bonaparte fut devenu premier consul, il retrouva ces mêmes livres qu’il n’avait pas oubliés ! Un jour qu’il présidait le conseil d’État, il vit sous son portefeuille un second exemplaire pareil au premier : il fait jeter l’ouvrage au feu. Le lendemain et les jours suivans, la même main inconnue plaça le même ouvrage à la même place, et chaque fois le premier consul palissait d’effroi à chaque nouvel exemplaire qu’il faisait brûler. À la fin, on cessa de lui jeter cette insulte inutile ; mais l’empereur devait se souvenir de l’outrage fait au premier consul.

À peine en effet fut-il empereur, qu’il envoya de sa maison l’ordre au préfet de police de faire enfermer dans la maison de Charenton, comme un fou incurable et dangereux, le nommé Sade. Aussitôt l’ordre reçu, la police se transporte dans la maison du marquis. Il était dans un cabinet où il avait fait peindre les plus horribles scènes de son horrible roman ; toute sa maison était meublée à l’avenant. Dans un