Page:Jules Janin - Le marquis de Sade.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 33 —

ont cessé : les livres du marquis de Sade ont tué plus d’enfans que n’en pourraient tuer vingt maréchaux de Retz, ils en tuent chaque jour, ils en tueront encore, ils en tueront l’âme aussi bien que le corps ; et puis le maréchal de Retz a payé ses crimes de sa vie, il a péri par les mains du bourreau, son corps a été livré au feu, et ses cendres ont été jetées au vent ; quelle puissance pourrait jeter au feu tous les livres du marquis de Sade ? Voilà ce que personne ne saurait faire, ce sont là des livres, et par conséquent des crimes qui ne périront pas.

Celui qui pourrait suivre le marquis de Sade dans l’intérieur de sa maison, celui qui pourrait le voir à côté de sa jeune et jolie femme, méditant tout bas, rêvant tout bas, et silencieux et triste, et se préparant à ses grands forfaits, celui-là écrirait un drame d’une haute portée. Je ne crois pas que jamais on ait trouvé un sujet plus hideux d’études philosophiques. Toutefois le public n’avait pas encore entendu parler de cet homme, quand un jour, le 3 avril 1768, une grande rumeur se répandit dans Paris sur le marquis, et voilà ce que l’on racontait :

Il possédait une petite maison à Arcueil, dans un endroit retiré, au milieu d’un grand jardin, sous des arbres touffus. C’était là que le plus souvent il se livrait à ses débauches ; la maison était silencieuse et cachée, munie d’un double volet en dehors, matelassé en dedans, toute prête pour le crime. Ce soir-là, c’était un jour de Pâques, le valet de chambre du marquis de Sade, son compagnon, son ami, son complice, avait ramassé dans la rue deux ignobles filles de joie qu’il avait conduites à cette maison. Le marquis lui-même, comme il se rendait à Arcueil pour sa fête nocturne, fit rencontre d’une pauvre femme nommée Rose Keller, la veuve de Valentin, un garçon pâtissier. Cette femme