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Duménil. Enfin, n’y tenant plus, l’enfant déchira tout-à-fait l’enveloppe que rattachaient quatre grands cachets noirs, il ouvrit le livre. À cette vue, il eut un éblouissement ! Revenu de sa frayeur, il courut s’enfermer dans sa chambre avec les œuvres du marquis de Sade.

Je vous laisse à penser ce que devint ce jeune homme ignorant, timide et frêle, à la lecture d’un livre qui suffirait ébranler les organisations les plus solides. Figurez-vous ce malheureux adolescent qui pâlit, qui tremble, qui tient d’une main égarée ce long pamphlet contre l’espèce humaine. Que faisait-il, le pauvre Julien seul à seul avec le marquis de Sade, tête à tête avec ce tigre qui hurle, ce tigre en fureur, cette hyène dégoûtante de sang, cet anthropophage tout souillé de vices ? Quelles scènes terribles ! Comme ce pauvre cœur se soulevait dans cette petite poitrine ! Comme ces cheveux blonds tout bouclés se dressaient d’effroi et retombaient tremblans et tout raides sur ce front pale et jauni ! Comme tout entier le pauvre petit Julien succombe sous le souffle empoisonné du marquis de Sade ! comme il retirait en ployant en deux son corps si frêle pour n’être pas touché par cette lueur pestilentielle ! Quels frissons ! quel effroi ! Hélas ! une nuit de cette lecture l’avait vieilli de vingt ans. Je le vois encore arriver au second repas du matin. — Est-ce toi, Julien ? Lui, le joyeux Julien d’autrefois, il avait, les yeux baissés, la tête en feu, le geste contracté : son regard délirait. Dans toute cette longue journée il n’eut pas un mot pour moi, pas une caresse pour personne ; malheureusement son oncle était sorti dès le matin, il avait porté bien loin de l’autre côté du Rhône le saint viatique à un de ses paroissiens qui se mourait, malheureux prêtre qui ne se doutait pas qu’une âme se mourait dans sa maison, âme de son petit Julien ! Le vieillard ne put donc pas porter secours à son neveu tout d’abord. Il n’y avait à la maison