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Pourtant cette innocente bibliothèque fut bien funeste à mon pauvre ami Julien, le neveu du curé Gabriel, le propre fils de sa sœur, qui n’avait que cet enfant et plus de mari.

Ce petit Julien était un enfant naïf, d’un esprit vif, mais peu avancé, d’une intelligence vulgaire, mais prompte ; son imagination peu éveillée l’avait tenu dans une parfaite innocence : il était joueur, rieur, causeur et curieux. Son oncle, pour lui faire bonne et entière hospitalité, lui avait donné une jolie petite chambre située au bout de la bibliothèque, si bien qu’à force de passer par cette pièce le matin et le soir, à force de voir des livres dans son chemin, le pauvre Julien prit envie de lire un de ces livres, à condition que ce livre fût amusant : il se mit donc à fureter partout pour trouver ce livre amusant.

Voyez le malheur ! De tous ces livres étalés sur ces tablettes, on pouvait lire les titres, et ils étaient là, ne demandant pas mieux que de voir le jour, les pauvres abandonnés qu’ils étaient. Seulement, tout au haut de la bibliothèque, dans un rayon à part, dans un coin tout noir de poussière, il y avait quelques volumes dont le titre était soigneusement enveloppé par une jalouse feuille de papier destinée à protéger non pas le livre contre le lecteur, mais le lecteur contre le livre. Ce fut pourtant cette fatale enveloppe qui décida le choix du pauvre Julien. Il suffisait qu’ils ne fussent pas à sa portée pour qu’il voulût s’emparer de ces volumes ; il suffisait qu’il fût défendu pour qu’il eût envie de porter la main à ce fruit de malheur et de perdition. D’abord il hésita : une voix lui disait qu’il allait commettre une action mauvaise ; puis peu à peu il s’enhardit. D’abord il déchira quelque peu le dos du volume pour en savoir le titre. Ce titre était fort simple, c’était un nom de femme comme on en voit en tête de tous les romans de Ducray-