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exécrable auteur qui, en le relisant, se dit à lui-même qu’il est resté bien au-dessous de ce qu’il pouvait faire. Il a été trompé par son exécrable imagination. Il la croyait à bout, et elle se réveille de plus belle. Il croyait avoir fait un chef-d’œuvre, et il n’a fait qu’une œuvre d’écolier. Il a décimé l’espèce humaine ; il veut l’immoler en entier. Il n’a déshonoré que les hommes et les femmes de la France, il veut déshonorer le monde. Et sur-le-champ, il recommence de plus belle. Ô l’horrible et infâme lutte de cet homme avec lui-même ! Qu’a-t-il pu dire dans son second livre qu’il n’ait pas dit dans le premier ? qu’a-t-il pu faire qu’il n’ait pas fait ? quels supplices nouveaux a-t-il inventés ? quelles horreurs nouvelles ? Quelle est la tombe qu’il n’ait pas souillée ? quel est le roi ou le pontife qu’il n’ait pas immolé à sa rage ? Le malheureux ! Il accuse dans son livre la reine de France elle-même ; oui, la reine de France qui paraît dans ses orgies ! Et non-seulement il prêche l’orgie, mais il prêche le vol, le parricide, le sacrilège, la profanation des tombeaux, l’infanticide, toutes les horreurs. Il a prévu et inventé des crimes que le Code pénal n’a pas prévus ; il a imaginé des tortures que l’inquisition n’a pas devinées. Le voyez-vous ce ver de terre tout fangeux, qui sort de sa corruption pour jeter à voix basse ces tristes paroles au moment où la société française est expirante sous le sophisme ? Concevez-vous l’effroi d’un honnête homme qui, poussé par cette curiosité qui a fait porter à notre père Adam une main indiscrète sur l’arbre de mort, se trouve face à face avec le marquis de Sade ! Comme le lecteur est honteux de sa triste hardiesse ! comme les mains lui tremblent ! comme les oreilles lui tintent, frappées qu’elles sont par le glas du dernier supplice ! comme c’est déjà une horrible punition pour le malheureux qui souille ses yeux et son cœur de