Page:Jules Janin - Le marquis de Sade.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 16 —

tristes passions des hommes, ne se soient pas abandonnés à cette tache facile ? C’est ainsi que le plus grand homme politique de 89, Mirabeau, mis en prison par ordre du roi pour attentat aux bonnes mœurs, écrivait au donjon de Vincennes de mauvais livres que le préfet de police vendait pour le compte de son prisonnier aux libraires, sauf à poursuivre plus tard comme magistrat, et quand ils étaient imprimés, les mêmes ouvrages, qu’il avait vendus pour procurer des habits et du linge au comte de Mirabeau.

Mais comprenez bien ce que je veux vous dire : le marquis de Sade ne peut même pas revendiquer le triste bonheur d’être placé à côté de ces écrivains égarés qui après tout ne sont coupables que de longues obscénités écrites. S’il en était ainsi nous ne parlerions pas du marquis de Sade ; ces sortes d’écarts sont trop nombreux dans toutes les littératures du monde pour que nous en fassions un grand reproche à leurs auteurs. Quel est, je vous prie, le grand poète de l’antiquité ou même des temps modernes qui, dans un moment d’ivresse, n’ait perdu quelques grains d’encens, et quelquefois d’un bon encens jeté sur les hotels de la déesse Cotyllo ? Quel est le grand peintre qui n’ait perdu quelques-unes de ses heures à la représentation des mystères les plus voilés de la vie de l’homme ? C’est un grand peintre chrétien, qui a donne à l’Aretin le sujet du livre qui l’a déshonoré. Le livre a déshonoré l’écrivain, les tableaux ont presque fait honneur au grand peintre, par la très-grande vérité que dans les arts le fond est presque toujours sauvé par la forme. Horace n’a-t-il pas laisse dans ses œuvres, monument achevé du goût le plus parfait et le plus pur, cette ode à certaine vieille Romaine, qu’on dirait échappée à la verve d’un écolier de rhétorique ? Virgile lui même, le chaste Virgile, est-il sans reproche, et n’y a-t-il