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sur la terre, ni ce Dieu qu’on renverse dans le ciel ! vous faut encore autre chose que Voltaire, qui s’est enivré lui-même à la coupe de poésie légère qu’il avait remplie pour enivrer les autres ! Ah ! cela ne vous suffit pas que vous ayez forcé le président de Montesquieu à élever, dans la vieille patrie de Venus, à Gnide, un temple de méchant porphyre et de guirlandes mythologiques ; ah ! cela ne suffit pas que vous ayez réduit Jean-Jacques Rousseau, ardent réformateur, à écrire un roman d’amour à force d’avoir vu les mœurs de son siècle ! Vous trouvez que vous avez encore du temps a perdre, et voilà, une belle unit, que vous profitez de la captivité de Mirabeau au donjon de Vincennes, pour lui faire écrire des livres obscènes. Prenez garde ! ces obscénités retomberont sur vous, malheureuse, qui n’avez plus un instant à donner aux soins de la famille ! prenez garde ! vous roulez emportés par le temps, qui s’envole en vous entraînant (demandez a quel échafaud !) ; et ces tristes remèdes contre l’ennui tourneront même contre l’oisiveté qui vous pèse. Alors vous regretterez même cette oisiveté un instant amusée par les vers de Dorat ou par les contes de Crébillon fils ! Et en effet quelle époque s’est jamais plus souillée de livres obscènes que ce grand siècle ? Diderot lui-même, le sublime bonhomme, n’a t-il pas écrit un méchant livre de sottises sans esprit intitule : les Bijoux indiscrets ?

Dans un pareil débordement d’écrits licencieux, et quand les plus grands hommes littéraires, Voltaire, Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Montesquieu, sacrifiaient au goût du jour ; quand les plus charmans esprits de ce temps-là n’étaient occupés dans leurs livres qu’a flatter les sens outre mesure, comment pouvait-il se faire que des jeunes gens, épris tout d’un coup d’une folle passion d’écrire pour les