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VISIONS DE L’INDE

la main tendue, comme une petite fille qui attend son noël, elle s’est écrié, d’une voix aiguë à peine pubère : « Bakchich ! ». C’est tout ce qu’elle a trouvé, c’est le seul mot que cette poupée de plaisir a prononcé ; elle ne sait sans doute que celui-là et telle est l’expression unique de son unique pensée… »

La curiosité libertine d’un globe-trotter est insatiable. Il veut que notre voiture s’arrête encore. J’ai la nausée, mais je ne résiste pas, aimant à me repaître de ce spectacle de dégradation qui fait, comme l’a écrit un Anglais énergique, « la honte de la race blanche ». Cette fois, c’est un antre. Le mot est faible encore. Les femmes dorment au-dessus du sol, dans des auges de plâtre. Cela rappelle certains tombeaux en ruine que j’ai vus en Judée et en Syrie. Les chambres, étroites comme des « box », n’ont pas de fenêtres ; et toutes les issues donnent sur un corridor, aéré seulement par la porte de la rue. Une odeur d’huile rancie, de femme malade, prend aux narines. L’une d’elles se lève de son espèce de sépulcre, laide, les cheveux collés, des croûtes noires au visage, avec ces yeux de haine qu’ont les bêtes blessées quand on les dérange ; et elle serre en nous voyant une lame déchiquetée. Une lampe de fer brûle avec une fumée acre ; mon compagnon me serre le bras :