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VISIONS DE L’INDE

les narines. La « pancy » s’approche de la rive ; les bateliers, avides de « bakchich », ont deviné notre curiosité. « Nice! awfully nice! », s’écrie l’Américaine en battant des mains. Puis elle pâlit à la vision formidable, qui s’avoue. Cette rôtisserie de sauvages nous envoie une odeur de chair humaine en cuisson.

Nous distinguons mieux, maintenant, que pour voir, nous avons débarqué. Des troncs d’arbres s’entassent entre quatre piquets ; au-dessus, le cadavre est étendu, mal enveloppé d’une draperie blanche qui donne plus l’impression d’une chemise de nuit que d’un linceul. Ici aucun de ces plis, aucune de ces torsions savantes que recherchent pour leurs mousselines ou leurs cotonnades, les vivants. Dépossédé de son étincelle d’âme cosmique, le mort n’est plus pour ces panthéo-idéalistes qu’une dépouille sans valeur, pas mieux qu’une de ces feuilles séchées qu’emporte le vent d’automne. Croque-morts en vestes blanches de coutil, sacerdotes nécrophores au visage de hyène, à têtes rasées, avec seulement la mèche sacrée qui pend à l’occiput comme la queue en crins d’un animal, le buste nu pour exhiber le cordon brahmanique, les jambes enveloppées d’un caleçon étroit où bouffe un pagne, nous rient de toute la vénalité scintillante de leurs yeux sombres, inconscients, par habitude, par métier, de leur