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VISIONS DE L’INDE

Saisissant d’un poing rapide le chevreau qui se débattit, il se tourna vers les poupées noires aux chapes étincelantes. Un seul coup. La tête bondit jusqu’aux pagodes. Le petit corps velu tomba. Des artères du cou gicla un double flot de sang ; et, — chose horrible ! — le chevreau sans tête se redressa, trébuchant, voulut marcher, se tordit trois fois, le ventre secoué d’un spasme posthume. Le prêtre le saisit de nouveau, lui coupa la queue et les cuissots de derrière, qu’il posa devant Naina-Devi et Nanda-Devi. Alors la folle au turban bondit vers la mare de sang que déjà buvait le sable, et elle y plongea ses mains, et elle y essuya sa face ridée et obscure qui se leva vers moi, affreuse, dégouttante de gouttes rouges. Et elle dansa de ses maigres jambes nues, et ses mamelles sèches claquaient jusqu’à son ventre. Elle chanta, prise dans le vertige du sang, possédée par l’âme perfide du Lac, prophétesse où passait le souffle des deux Démones, — le vent du meurtre.

Parmi cette anse délicieuse, sur cette rive douce où l’eau finit en caresse, c’était la personnification du Vice secret, caché dans la Nature, du Mal qui pourrit, dans ses racines, l’univers…

Je serrai la tunique du brahme ; mes nerfs souffraient à la contagion de ce délire :

— Que dit-elle ?