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VISIONS DE L’INDE

ces ascètes possédés par le Démon de la Paresse et de l’Absurdité, — et surtout cette folle au turban dérisoire dont les cheveux se tordent en cobras.

Parfois ma main glisse jusqu’au lac qui meurt là, caresse de sa langue captieuse et humide. Et je comprends pour la première fois peut-être ce qui n’était pour moi jusqu’alors que lecture ou rêverie, le culte des forces naturelles, de « ces objets inanimés qui ont une âme » selon l’expression du poète, la présence de ces dieux mystérieux que le Christ chassa de l’Europe, mais qui continuent de vivre en Asie…

Une pauvre femme de la montagne entra timidement dans l’enceinte, tenant entre ses humbles bras aux bracelets de cire un chevreau.

Bharamb me dit :

— C’est une fidèle qui vient supplier les Déesses. Un des prêtres, qui somnolait sur le sable, ramassa une hache et marcha vers le lac. Ayant levé son arme dont le tranchant s’alluma d’un rai de soleil, il la trempa dans une flaque en se prosternant. Ce boucher sacré appelait l’âme du Tal, l’énergie subtile et cruelle de l’eau qui vivifie et engloutit.

La mignonne bête noire restait par terre, immobile sur ses pattes, humant l’air frais, tournant le museau çà et là, étonnée, avec ses petites cornes frêles.