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VISIONS DE L’INDE

sences les plus ordinaires sont là, exaltées en puissance et en grâce. Des catalpas fleuris se rejoignent sur nos têtes, nous font des ciels embaumés ; les touffes de bambous, les euphorbes géants nous gardent. Nous montons toujours. Les écureuils trottent d’arbre en arbre, avec leur queue en parasol. Les singes bondissent et rient. Le paysage et les hommes changent. Une majesté se dégage des roches, une race plus forte se montre, avec des jarrets et des cuisses musclés, si différents des échalas de mon Bengali. Le visage aussi est plus noble, transfiguré d’être moins vénal et de ne plus mentir. La magnifique ambiance élève le type. La nature aime à se mirer dans les hommes. Les montagnards de l’Inde sont plus beaux que les montagnards des Cévennes ou des Alpes, mais la pauvreté et la superstition les marquent d’une tare encore. Les coolies abondent sur la route, écrasés par les déménagements des Européens, qui font porter à dos d’homme, — ça coûte si peu, — leurs meubles et jusqu’à leurs pots de fleurs. Le fameux paysan de La Bruyère, décrit avec un pittoresque féroce, est un grand seigneur, à côté du coolie. À peine vêtu, malgré le froid, beau comme un dieu grec, il plie sous d’effroyables charges de bois, de charbon, de tonneaux. Il va ainsi, des milles et des milles, sans rien voir que le sol, la tête au niveau de l’estomac,