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VISIONS DE L’INDE

jouant avec la canne, des Anglais parcourent la princière demeure comme un musée, avec le mépris et la curiosité des conquérants. Et je songe au destin de ces « grands rois » (car tel est le sens de maharajah), maîtres depuis le dix-huitième siècle de ce pays sacré, terre des dieux et des ascètes, ébranlés par les rébellions, voyant s’écrouler la domination des wazirs d’Oude qui massacrent les résidents anglais, puis eux-mêmes soupçonnés de trahisons pendant la révolte des cipayes, — un maharajah, le père de celui-ci, sur le point d’être pendu, — enfin Bénarès définitivement annexé à l’Empire de la Reine contre une pension annuelle de cent mille livres sterling allouée au maharajah, — une goutte d’eau dans le fleuve des colossales dépenses…

Prabhu Navain, l’actuel Maharajah de Bénarès, entra, mignon comme une statuette, souriant. Je le reconnus, semblable au grand portrait de ce salon, presque un enfant, vingt-cinq ou vingt-huit ans, sans doute, mais de figure plus puérile encore, petit, mince, n’ayant gardé de son père, le géant guerrier, que la beauté. Et cette beauté s’est féminisée, n’est plus que jolie. Il a sur la tête un petit bonnet tressé d’or ; sa taille exiguë est serrée dans une jaquette mi-indienne, mi-occidentale avec un ceinturon, d’où tombe un sabre recourbé qui lui va bien, un sabre de parade qu’il a fallu réduire pour sa taille