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CONDORCET

parvient à sortir le 3 avril 1794 ; il se rend à Fontenay-aux-Roses, demande en vain asile à Suard, erre dans la campagne, entre accablé de fatigue dans un cabaret de Clamart où il est arrêté comme suspect ; on remmène à Bourg-la-Reine, on l’y enferme et le lendemain matin on le trouve mort dans son cachot : il avait soustrait sa tête à l’échafaud grâce à un poison que lui avait donné Cabanis, son beau-frère.

Voltaire écrivait à Condorcet en 1770 : « Un grand courtisan (Voyer d’Argenson) m’a envoyé une singulière réfutation du système de la nature, dans laquelle il dit que la nouvelle philosophie amènera une révolution horrible. Tous ces cris s’évanouiront et la philosophie restera… Laissez faire, il est impossible d’empêcher de penser et plus on pensera, moins les hommes seront malheureux. Vous verrez de beaux jours, vous les ferez : cette idée égaie la fin des miens. » Il est loin de prévoir que son ami périra misérablement, victime de cette révolution qu’ils appellent de tous leurs vœux et qu’elle fera monter sur l’échafaud des savants comme Bailly et Lavoisier, des poètes comme A. Chénier !

Condorcet fit preuve jusqu’à la fin d’un courage stoïque. « Condorcet, dit Lamartine, dans l’histoire des Girondins, est un philosophe aussi intrépide dans ses actes que hardi dans ses spéculations… Il croyait à la divinité de la raison et à la toute puissance de l’intelligence humaine servie par la liberté… La science était sa vertu, l’esprit humain était son Dieu… Le premier dogme de sa politique est d’adorer l’avenir