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personnages de Racine, ou même — cet âge a mauvais goût — ceux de Victor Hugo !

Plus tard, au Vieux-Colombier, nous montions Le Mariage de Figaro. J’étais régisseur, c’est-à-dire chargé de l’organisation de la représentation. Je dus me plonger dans Beaumarchais corps et âme.

Copeau, qui admire Beaumarchais sans réserve, me trouvait tiède. Je convenais pourtant que c’était une œuvre exquise. La mise en scène néanmoins ne m’a laissé que le souvenir des gravures de l’époque. Le travail que je dus faire me fit passer en revue — d’une façon pratique et d’une manière corporelle — tous les innombrables accessoires qui avaient illustré mes lectures : bouquets de fleurs et rubans, pince monseigneur, miroirs, coiffeuses, tabourets, toise, robe de femme, feuille de musique, tabatières, mouchoir, éventail, lit complet avec baldaquin et rideaux à embrasses, pouf de satin rose, tambour à broder, clefs, flacons de sels, boîtes à mouches, taffetas gommé, ciseaux, pot de giroflées, loup de dentelle, lanternes de papier, sonneries de cor de chasse, plumes d’oies, dossiers, bésicles et écritoires, billet avec épingle, guirlandes de fleurs sur fond de tapisserie, que couronnaient deux kiosques ou temples de jardins sous des frondaisons de marronniers. Rien ne me fut épargné. Et je compris aussi la virtuosité avec laquelle Beaumarchais sait faire surgir, agir et réagir, apparaître et disparaître ses personnages et l’étonnante, la prestigieuse magie avec laquelle il noue et dénoue les intrigues et les imbro-