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pain, la fleuriste qui vend ses fleurs, ne le font pas tant pour vivre que pour se sentir moins seuls et je ne veux pas parler ici du besoin plus grave et plus profond qui fait parler le poète, ou de celui, plus modeste, mais tout aussi impérieux, de l’interprète qui cherche à vivre une fiction. Tous ceux qui travaillent de près ou de loin à l’œuvre dramatique sont mus par ce besoin de plaire que seul le succès contrôle, sanctionne où récompense.

Dans les tourments inventés dans son Enfer, le Dante a oublié celui de l’auteur ou de l’acteur contraints d’être joué ou de jouer devant une salle vide de public, où les voix seraient muettes et où les mauvaises vocations théâtrales périraient lentement par asphyxie. Pour qu’il prenne conscience de lui, pour qu’il progresse, pour qu’il vive de son métier matériellement et spirituellement, il faut, à l’acteur comme à l’auteur, un public qui l’approuve.

À l’heure des conclusions, c’est encore une nouvelle définition qu’il faut donner pour exprimer plus complètement le sens de cette expression du succès au théâtre.

Molière, contraint, lui aussi, à la loi du succès, après avoir constaté que « c’est une étrange entreprise de vouloir faire rire des honnêtes gens », le formule avec, sans doute, un peu de mélancolie : « Le grand art est de plaire. » Tel est le nouvel aspect du succès, la réussite dans l’art de plaire.

Eschyle ou Sophocle écrivaient une pièce pour plaire, ils l’écrivaient pour obtenir le prix du concours dra-