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sements. D’ailleurs le public donne rarement l’un sans l’autre.

Et voici donc le problème et la loi du théâtre ; avant toute autre considération, le théâtre doit être d’abord une affaire, une entreprise commerciale florissante, c’est alors seulement qu’il lui est permis de s’imposer dans le domaine de l’art. Il n’y a pas d’art dramatique sans succès. Il n’y a pas d’œuvre dramatique valable si elle ne trouve son public pour l’écouter et la faire vivre. Effroyable alternative dont il faut épouser les deux termes à la fois, et qui place le théâtre sur la pente de toutes les sollicitations et de tous les compromis, même de celui de la mode. À la méditer, à la pratiquer, cette loi éclaire toutes les activités théâtrales et explique toutes les tendances et tous les procédés dramatiques. Telle est cette nécessité où le temporel et le spirituel s’épousent et s’opposent et qui pourrait expliquer, à la fois, les amères voluptés de notre métier, sa misérable grandeur, son mystère et aussi ses vertus de perfection.

La collaboration nécessaire et aveugle d’un public qui est, en même temps, le but et la sanction de l’œuvre dramatique, asservit le théâtre à la nécessité de plaire.

Ce n’est pas tellement l’appétit du gain, ni la vanité qui réclame sa pâture, qu’il faut chercher ici dans le gout de plaire. Chez l’auteur, comme chez l’acteur aussi, cela tient de plus près aux tourments du cœur, que les honneurs et les richesses ne rassasient. Nous avons tous besoin de sentir des visages et des cœurs tournés vers nous, soyez-en bien surs. Le boulanger qui vend son