Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/41

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la cause et la fin et qui est indispensable au fait de vivre. Et il y a, de toute évidence, dans l’exercice de notre profession, dans la cérémonie dramatique, des notions moins sommaires qu’il y paraît.

À la scène, ces phénomènes prennent leur évidence dans une exaltation exceptionnelle, et si l’homme condamné à l’usine, à l’officine, au bureau, au magasin, ou à sa boutique, va encore au théâtre, c’est qu’il y trouve l’atmosphère nécessaire à la respiration de son cœur et de son esprit.

Pendant longtemps et dans toutes les civilisations, la scène a été un lieu sacré, mais du jour où les hommes en ont déménagé la religion et l’ont installée dans des édifices spécialisés, l’acteur, cet ancien prêtre d’Éleusis défroqué, a été excommunié et la scène est devenue un lieu de Sabbath.

Je crois qu’il est impossible d’écrire une philosophie du théâtre, mais je rêve qu’un jour quelqu’un, peut-être, écrira une physique ou une métaphysique théâtrales, qui éclaireront la nature de ces cérémonies, en dégageront les lois et les constantes inexplicables, science comparable à celles qui étudient ou décrivent le régime des vents, les courants marins ou la gravitation des astres, ou à celles qui ordonnaient les temples grecs ou les pyramides d’Égypte, les cérémonies religieuses antiques et les coutumes des anciennes civilisations, sorte de connaissance où le phénomène minutieusement connu et pieusement enregistré reste cependant dans le nuage doré de la mystique nécessaire.