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dramatiques ; le personnage, éventré par une main cruelle, se promène sur la scène en trainant ses ressorts et ses engrenages après soi et cherche à éveiller chez le spectateur une curiosité anormale.

Et maintenant, à quoi tient, par contre, le succès des pièces de Jean Giraudoux ? Il n’est pas de même nature que celui-là. Il tient, lui aussi, il est vrai, à la magie dramatique, mais à une magie dramatique de bon aloi et de grande tradition, la seule qui soit : celle du Verbe.

Au lieu d’un sorcier qui opère par sternomancie, ou libanomancie, comme font les sibylles et comme dit Rabelais, nous avons affaire à un véritable magicien du théâtre, à celui qui possède cette éloquence particulière, ce don sacré de la parole qui, différenciant les écrivains de théâtre, élève et isole, au delà des dramaturges, l’homme élu et prédestiné.

Pour nous tous qui avons joué ses œuvres, cela a été une révélation et une surprise de voir et de sentir pour la première fois le public dans un état d’attention aisée, constante et émue, et d’éprouver pour notre compte le silence charmé d’une salle ravie par la magie d’incantation que donne, seul, le poète.

Nous pouvons dire que seuls les grands écrivains provoquent cette stase dramatique, cet émoi profond où l’auditoire est charmé et fasciné à la fois par une parole, comme de prédilection. L’assistance entière, dans Amphitryon, est atteinte profondément par cette familiarité lyrique, où à l’aube des combats « l’odeur