Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prètes qui s’animent, et assimiler, rejeter ou emporter comme fétus de paille toutes ses indications dans une sorte de naissance et d’éclosion véritables.

Il y a, dans le métier de metteur en scène, un mal d’immodestie qui finit par atteindre les plus sincères d’entre eux. Cette liberté de travailler librement dans les œuvres des autres, d’y patauger, de les tripatouiller et de les refaire, est un phénomène couramment observable, et, après quelques heures de conversation avec soi-même ou avec un confrère, il faut avoir la tête bien faite et le pied solide pour ne pas être pris de ce vertige ou, persuadé de ce que l’on veut croire, on est près de conclure que Shakespeare ou Gœthe n’entendaient rien au théâtre. Le grand art dramatique est mystère.

On peut parler avec certitude de grande œuvre dramatique quand le metteur en scène, en toute bonne foi, s’avouant qu’on pourrait construire ou écrire autrement la pièce, n’a cependant plus rien à dire ; quand, malgré toute l’envie qu’il a de refaire la pièce, il l’accepte à peu près telle qu’elle est écrite. Et, en exemple de cette définition, je vous dirai ce propos d’un autre metteur en scène à qui je demandais ses projets et qui me confia qu’il était désespéré, car il venait de travailler sans résultat, pendant deux mois, sur le Malade Imaginaire. Comme je m’étonnais, il me dit :

— Oui, je viens d’y passer tout mon été. J’ai cherché des éclairages en dessus, en dessous, de côté ; j’ai cherché le décor, les mouvements de scène. Il n’y a rien,