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sidérant admirativement tous ces dédales propices, il s’écrie avec satisfaction :

— Ah ! Ici, au moins, on peut faire de la direction !

Il apporte dans l’art dramatique toutes les tendresses et les voluptés de sa vie privée. Possesseur d’une petite amie très endommagée et qui s’obstine avec une excessive persévérance à jouer les ingénues, il cherche à la placer dans toutes les distributions. Personne n’en veut ; mais à l’auteur qui refuse cette pitoyable collaboratrice, il s’écrie d’une voix mouillée :

— Voyons, voyons, mon cher ami, vous ne pouvez pas me faire ça, à moi !

Si son amie n’est point une théâtreuse, il est la proie des petites amies de ses commanditaires. Alors, pressé par son régisseur de désigner, pour la prochaine pièce, la vedette féminine, le front chargé de soucis, le regard torve, songeant douloureusement à l’échéance, cherchant dans son esprit lequel de ses actionnaires pourrait l’aider financièrement, il répond évasivement et sans aucun cynisme :

— Je ne sais pas encore si ce sera le quincaillier, le conseiller municipal ou le marchand de billets.

Barbey d’Aurevilly, vers 1880, proclamait déjà que le théâtre n’était plus qu’une vaste boutique où l’on vendait moins d’idées que de sensations : pour tout dire, « un bazar ». Or, pour tenir de tels bazars, s’écrie-t-il, il ne fallait que ce qu’il faut pour tenir tous les bazars du monde et l’on a facilement trouvé. Comme dans tous les bazars, on a vu s’étaler dans les