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qui, en dehors de Hugo, constituaient le principal de son alimentation.

Une autre partie de sa vie, l’essentielle, celle qui prenait aussi la moitié de ses nuits, était la dévotion et la mystique hugoliennes.

— Hugo, c’est simple… le génie, le génie universel !

— Mais, mon vieux, son théâtre, pourtant…

— Je consens à t’accorder que son théâtre est la moins bonne partie de son œuvre, concédait-il en soufflant sur son carton les raclures de gommes à effacer, mais il ne faut pas dénigrer ses personnages. Ce sont des statues — mal équarries peut-être — mais ce sont des statues !

Il avait quelque dix ans de plus que moi, le ton sincère de ses affirmations dominait à la fois mes sentiments et mes opinions.

De retour, ce soir-là, de l’amphithéâtre de la Comédie-Française, où j’avais assisté à une représentation de Racine, et encore sous l’impression très différente que peut laisser Britannicus, si l’on songe tout à coup à Lucrèce Borgia, il avait suffi que je lui répondisse avec un peu de nervosité pour le voir se déchaîner.

Une effroyable bagarre surgit un jour entre nous ; influencé sans doute par un autre climat dramatique que celui de Hugo, j’avais proféré que ses personnages étaient primitifs et creux comme des tam-tams. Exaspéré par son admiration, je reniai jusqu’à Ruy Blas et lui déclarai que les courges desséchées dites calebasses avaient autant d’humanité que les héros de Hugo. Ce