Page:Jouvet - Réflexions du comédien, 1938.djvu/130

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Becque a su garder à ce thème son unité et sa pureté. Il ne nous a pas conté une anecdote brodée de multiples détails qui l’auraient rétrécie, et c’est là la vraie grandeur de sa pièce, une des principales raisons pour lesquelles elle subsiste. Becque visait au réalisme ; et la plus parfaite de ses pièces est la moins réaliste et c’est celle qui restera.

Car la Parisienne, en dépit de tout ce qui dessèche ou dessert cette œuvre — et peut-être à cause même de cette disgrâce constante, qui atteint ici l’efficacité d’une réelle vertu — est incontestablement le chef-d’œuvre de l’époque réaliste.

Becque y fait figure de grand moraliste : l’escrime psychologique des personnages, le dessin des scènes et leur agencement, nous passionnent, et il atteint ici à une écriture dramatique parfaite.

il n’est rien de tel, pour pouvoir juger de la vertu et de la valeur d’un texte dramatique, que d’entendre, au matin, dans les murs nus d’une classe du Conservatoire, les élèves s’essayer dans les scènes diverses que permet le règlement. De l’époque réaliste, Becque seul subsiste. Sa langue, son style, ses répliques, son éloquence dramatique dans la Parisienne, font paraître bien désuète ou bien pauvre l’écriture de Brieux, de Bataille, d’Hervieu ou de Jules Lemaître.

On ne peut rien changer à cette œuvre ; on ne la referait pas. Elle a, dans son dépouillement, une réelle grandeur, une véritable pureté.