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qui m’a toujours semblé avoir la vertu d’un talisman pour expliquer le secret des cœurs et des œuvres. Péguy disait : « Il n’a pas la grâce. »

Je ne fais pas de critique littéraire. C’est donc en homme de théâtre que je m’efforce à comprendre Becque et son œuvre. Or, au premier contact, cette œuvre, que ce soit la Parisienne ou les Corbeaux, prend pour moi l’apparence d’une plante stérilisée.

Parce que Becque n’a pas pu, ou n’a pas su laisser aux éléments de son œuvre leur libre jeu. Il se produit toujours dans une pièce une sorte de création seconde, après l’écriture — phénomène miraculeux que l’esprit de l’auteur a déjà préparé en rêvant son sujet — qui est implicitement contenu dans les mots qu’il a écrits et que les répétitions sur scène provoquent et cristallisent. Becque n’a pas participé à cette alchimie du théâtre.

Comme je parlais avec Berthe Bovy de la façon dont on répète Becque, elle me confia l’étrange contraste éprouvé entre le plaisir qu’elle avait à chercher un personnage durant les répétitions et la pénible difficulté qu’elle avait à jouer, ensuite, le personnage devant le public. (Notons-le en passant, cette confidence d’une grande comédienne nous permettra tout à l’heure d’établir aussi le classicisme de Becque.)

Ainsi, le mystère et la poésie n’ont aucune part dans le théâtre de Becque.

Il nous a avoué lui-même comment il composait ses comédies. « La pièce où je me tenais, et qui était