Page:Journal officiel de la République française, Lois et décrets, 27 mai 1988.djvu/6

Cette page n’a pas encore été corrigée
7382
27 mai 1988
JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

Cette liste n’épuise pas un sujet dont les aspects multiples se révéleront à chaque instant de votre action ministérielle. Certains de ces aspects ont d’ailleurs fait l’objet de circulaires de mes prédécesseurs, dont la liste figure en annexe et auxquelles vous voudrez bien vous reporter.

Je vous demande cependant de voir dans les instructions qui suivent, au-delà du simple rappel de règles de bonne administration dont l’énoncé rend souvent le son de l’évidence, un code de déontologie de l’action gouvernementale.

J’ai souhaité y rendre perceptibles l’esprit et la méthode qui doivent désormais inspirer vos travaux.

Aussi ai-je voulu que cette circulaire soit un des premiers actes du Premier ministre désigné le 10 mai 1988 et qu’elle soit publiée au Journal officiel de la République française.

Je compte sur chacune et chacun d’entre vous pour la mettre en œuvre, tout comme vous pourrez compter sur moi pour y être attentif.


1. Respect de l’État de droit

Il convient de tout faire pour déceler et éliminer les risques d’inconstitutionnalité susceptibles d’entacher les projets de loi, les amendements et les propositions de loi inscrites à l’ordre du jour. Cette préoccupation doit être la nôtre même dans les hypothèses où une saisine du Conseil constitutionnel est peu vraisemblable.

Je considère, en effet, comme de l’honneur du Gouvernement de ne porter aucune atteinte, fût-elle mineure et sans sanction, à l’État de droit.

Je vous demande à cette fin :

— de faire étudier attentivement par vos services les questions de constitutionnalité que pourrait soulever un texte en cours d’élaboration et de saisir le secrétariat général du Gouvernement suffisamment à l’avance pour lui permettre de se livrer également à cette étude ;

— de prévoir un calendrier des travaux préparatoires laissant au Conseil d’État le temps de procéder à un examen approfondi du projet. Sauf urgence, la transmission du projet au Conseil d’État par les soins du secrétariat général du Gouvernement devra précéder d’au moins quatre semaines sa présentation au conseil des ministres. Vous ne devrez pas hésiter à exposer au Conseil d’État les questions de constitutionnalité que vous avez rencontrées au cours de l’élaboration du projet qui lui est soumis ;

— de tenir informé le secrétariat général du Gouvernement des amendements susceptibles de poser des questions de constitutionnalité, afin d’organiser en tant que de besoin des réunions interministérielles de mise au point pour conjurer tout risque. Cette précaution vaut tant pour les amendements adoptés en commission que pour les amendements déposés et adoptés en séance.


2. Respect du législateur

Le vote de la loi est l’acte fondamental de la vie de la démocratie.

Aussi attacherai-je le plus grand prix à ce que vous suiviez les instructions suivantes dans vos relations avec le Parlement.

a) Vous consacrerez tout le soin qui s’impose à votre participation au débat parlementaire.

Présenter un projet de loi au Parlement constitue, en effet, pour un membre du Gouvernement, un honneur beaucoup plus qu’une charge.

En outre, l’expérience montre que le débat parlementaire, contrairement à une idée encore trop répandue, contribue de façon décisive à la maturation d’un texte.

b) Vous veillerez, dans l’accomplissement de cette fonction, à prendre la position qui, eu égard à l’évolution du débat, est la plus conforme à l’esprit des délibérations interministérielles préalables au dépôt du texte.

Je vous demande, en particulier, de ne vous écarter d’une position que j’aurai arrêtée au cours des travaux interministériels préparatoires que si une raison sérieuse le justifie et après avoir recueilli mon accord.

c) La durée de vie des lois est en constant raccourcissement, soit que, adoptées dans des conditions inutilement conflictuelles, elles sont remises en cause politiquement, soit que débattues avec une hâte excessive les malfaçons dont elles sont porteuses imposent des rectifications. Vous vous efforcerez donc, ce point est capital et je me permets d’y insister, de laisser au Parlement le temps de débattre et de faire adopter les textes par la majorité la plus large.

Sauf urgence avérée, vous devrez prévoir des délais d’examen par le Parlement sensiblement plus importants que ceux qui ont été observés au cours des années passées. À cet égard, il ne doit plus être considéré comme anormal qu’un texte soit déposé au cours d’une session et adopté lors de la session suivante.

De même, en vue d’aboutir au vote d’un texte par une majorité plus importante que celle qui se réclame habituellement de l’action du Gouvernement, vous ne négligerez d’utiliser aucune procédure de concertation, vous ne refuserez d’explorer aucune voie de compromis acceptable, c’est-à-dire aucune solution techniquement réaliste et compatible avec les engagements fondamentaux du Gouvernement. Tout infléchissement de la position du Gouvernement qui pourrait utilement y contribuer recueillera mon accord.

Vous pourrez demander au ministre chargé des relations avec le Parlement tout réaménagement de l’ordre du jour permettant au débat parlementaire d’évoluer dans le sens d’une plus ample adhésion.


3. Respect de la société civile

Si la finalité de notre action est l’amélioration des conditions de vie de nos concitoyens, elle n’est certainement pas de leur façonner un mode de vie dont ils ne voudraient pas. Aussi devons-nous être constamment à l’écoute des aspirations et contribuer, si faire se peut, à leur réalisation.

a) La société civile admettra d’autant mieux l’autorité de l’État que celui-ci se montrera capable de la comprendre.

Il vous faudra pour cela pousser les administrations placées sous votre autorité à se rendre plus disponibles aux citoyens, qu’il s’agisse de faciliter aux usagers l’accès des services publics (heures d’ouverture, accueil aux guichets, personnalisation de contact administratif, etc.) ou, de façon plus ambitieuse, d’identifier, d’analyser et de prévenir le mécontentement social. Il conviendra à cet effet de combattre la tendance qui est celle de toute institution, lorsqu’elle a pris les dimensions de notre appareil d’État, à perdre la conscience des intérêts en vue desquels elle a été créée, pour y substituer ses intérêts propres.

b) Il vous faudra également dissiper l’illusion qui voit dans l’intervention de l’État la solution de tous les maux, en vous efforçant de modeler, dans chaque domaine, sans parti pris ni dans un sens ni dans l’autre, ce que doit être « le juste État ». Il faut pour cela assigner à l’action de l’État un début et une fin, de sorte que l’on sache quand son intervention n’est plus nécessaire dans un domaine et doit en revanche se redéployer dans un autre.

c) Il conviendra, en outre, de tirer parti, dans la formation de vos projets, des initiatives, des bonnes volontés et des idées dont est riche la société civile. Au fur et à mesure que les acteurs sociaux, économiques et culturels se révèlent aptes à se saisir de tâches d’intérêt général, l’action de l’État doit passer de la gestion directe au « faire faire », du « faire faire » à l’incitation et de l’incitation à la définition des règles du jeu.

d) Nous devrons préférer, toutes les fois que c’est possible, aux arguments d’autorité des négociations réelles, loyales, méthodiques et, s’il y a lieu, formalisées par des conventions. À cet égard, il vous reviendra en propre de conduire, avec les organisations représentatives relevant de votre secteur de compétences, les concertations qui s’imposent. Je ne devrai intervenir dans ces contacts qu’à titre exceptionnel.

e) La société civile peut être justement irritée par l’excès et la complexité des règles que l’État lui impose, ainsi que par la difficulté d’y avoir accès.

Le volume des textes normatifs composant notre ordonnancement juridique connaît, en effet, un accroissement continu dont l’étude détaillée révèle le caractère excessif.

Je combattrai, dans son principe même, l’excès de législation ou de réglementation, tout particulièrement lorsqu’il apparaîtra qu’un allègement des contraintes de droit écrit permettrait, grâce à la négociation sociale et à la responsabilité individuelle, d’obtenir des résultats au total plus satisfaisants pour la collectivité.

En outre, là même où l’intérêt général justifie l’édiction de nouvelles règles ou la modification des règles existantes, la production de normes juridiques peut revêtir des formes néfastes dont il convient de corriger les effets : dispositions nouvelles se superposant, sans s’y insérer de façon claire, aux dispositions existantes ; textes obscurs suscitant toutes sortes de difficultés d’interprétation et d’application ; procédures inutilement complexes portant en germe des développements contentieux ; dispositions sans contenu normatif n’ayant leur place que dans l’exposé des motifs ou les débats ; recours à un langage codé connu des seuls initiés, donnant à l’administration et à quelques spécialistes un monopole d’interprétation.

Je vous demande en conséquence :

— De vérifier, avant de préparer une nouvelle norme juridique, que le problème ne peut pas être résolu par d’autres voies : actions d’information ou de persuasion, négociation avec les partenaires sociaux, conventions, meilleure organisation de vos services. Une interrogation, à cet égard, doit rester présente en permanence à nos esprits : les dispositions existantes ne constituent-elles pas un cadre juridique suffisant ?

— S’agissant plus particulièrement des projets de loi, de ne proposer de faire figurer au programme de travail du Gouvernement que les textes dont le contenu est intégralement législatif et dont l’intervention est absolument nécessaire soit à la mise en œuvre des priorités gouvernementales, soit au traitement de questions techniques qui ne pourraient trouver autrement leur solution. Je n’accepterai d’inscrire à l’ordre du jour prioritaire du Parlement que les projets de loi répondant à ces exigences ;