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accomplir, qui est de rendre un hommage purement français à l’illustre auteur de la Richesse des nations.

Notre pays a su, comma le vôtre, profiter des enseignements de votre grand économiste, et si l’on compare les progrès accomplis de 1776 jusqu’à nos jours, on constate que la France n’a pas été la dernière à entrer dans la voie tracée par Adam Smith. Nous étions d’ailleurs bien préparés, à la fin du dix-huitième siècle, pour comprendre les leçons du maître. Avant qu’il eut entrepris d’écrire son grand ouvrage, avant d’avoir commencé cette célèbre retraite de dix années qui a donné naissance à son chef-d’œuvre, Adam Smith avait pu voir en France, dans deux voyages, les esprits occupés des grands sujets sur lesquels il devait plus tard jeter tant d’éclat.

La société française avait en effet accueilli, avec une sympathie que justifiaient leur talent et leur caractère, cette réunion d’hommes remarquables qu’on a appelés les Physiocrates et qui avaient pour chef le célèbre docteur Quesnay. Ces hommes, au milieu de beaucoup d’erreurs, avaient émis un grand nombre d’idées fécondes et avaient préparé, pour ainsi dire, le terrain dans lequel Adam Smith devait jeter plus tard les semences de la vérité.

Les événements de la Révolution française détournèrent les esprits de mes compatriotes sur des questions d’un intérêt si pressant, que le reste disparut en quelque sorte. C’était un moment où on luttait pour la vie même. Il y avait pourtant encore à cette époque des hommes qui gardaient avec un soin jaloux la flamme secrète, et parmi eux, a leur tête, pourrais-je dire, se trouvait mon grand’père, J.-B. Say. Il était alors dans toute la force de la jeunesse et dans toute l’ardeur de convictions qui étaient cependant déjà très-mûrement réfléchies.

Le petit groupe des disciples d’Adam Smith était formé ; il pouvait espérer entraîner à sa suite cette jeunesse française si avide d’études et d’idées nouvelles ; mais on était à la veille de l’établissement du premier empire. L’Empire n’aimait pas les économistes ; il avait peur des idées et paraissait infliger comme une sorte de réprobation aux esprits philosophiques et studieux, en les appelant des idéologues.

Nous avions eu pour les idées économiques une aurore brillante, nous devions avoir plus tard une renaissance qui n’a pas manqué d’éclat ; l’économie politique devait passer, dans l’intervalle, par ce que je pourrais appeler son moyen Age, son âge d’obscurcissement et de ténèbres profondes. On aurait pu croire, pendant quinze ans, que l’économie politique n’existait plus en France.

On raconte que, tout jeune encore, Adam Smith fut enlevé par des brigands, et qu’il resta pendant quelque temps dans leurs mains sans que sa famille ait pu, malgré ses recherches, le découvrir.

Tel fut chez nous, pendant le premier empire, le sort de l’économie