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est donc indispensable de choisir un des deux métaux comme étalon unique et de donner à ce métal seul le caractère de monnaie normale, en réduisant l’autre métal au rôle de simple marchandise, ou tout au plus de monnaie auxiliaire. C’est ce qu’ont fait déjà plusieurs nations. Les Anglais ont pris l’or pour étalon, n’admettant guère les pièces d’argent que comme appoint et ne leur attribuant cours légal que jusqu’à concurrence de quarante schillings. En Hollande, au contraire, l’argent seul constitue la monnaie normale ; en Allemagne également. L’or cependant est admis à circuler comme monnaie dans les États de la Confédération germanique, mais il ne parait pas que les pièces de ce métal aient un cours obligatoire ; en sorte qu’on en fait peu d’usage, et que l’or rentre à peu près dans la catégorie des marchandises ordinaires.

III. — Motifs qui pourront faire donner la préférence à l’or. — Les avantages et les inconvénients comparés des deux métaux ont été discutés dans de nombreux écrits, et les hommes les plus compétents se sont divisés sur la question de savoir auquel des deux il convenait de donner la préférence. La diversité d’opinions se comprend ici d’autant mieux que chaque partie peut invoquer en sa faveur l’autorité de l’expérience. Ainsi, nous voyons les Anglais, nation éminemment pratique, se tenir à l’étalon d’or, tandis que les Hollandais, nation non moins pratique, adoptent exclusivement la monnaie d’argent. L’hésitation, en pareil cas, est donc bien permise. Néanmoins, si nous avions voulu garder l’étalon d’argent (je dis garder, parce que l’argent est l’étalon légal reconnu par la loi de l’an XI), nous aurions dû prendre plus tôt des mesures pour arrêter ou ralentir l’invasion de l’or et pour retenir chez nous la monnaie d’argent. Depuis douze ans il a été introduit en France une énorme quantité d’or. La monnaie en a frappé pour plus de quatre milliards[1]. C’est là un précédent qui nous lie et ne nous permet guère désormais d’attribuer à l’argent seul le caractère de monnaie normale, en démonétisant l’or ou le réduisant à un rôle secondaire. Il est, d’ailleurs, plus facile (comme l’exemple de l’Angleterre le prouve) de faire de l’argent une monnaie auxiliaire de l’or, que de faire de l’or une monnaie auxiliaire de l’argent. Les essais de l’Allemagne dans ce dernier sens n’ont rien de concluant jusqu’ici. Enfin, considération capitale, les deux plus grands peuples commerçants avec lesquels nous ayons à traiter, l’Angleterre et les États de l’Amérique du Nord, se servent presque exclusivement de monnaie d’or et ne renonceront pas à l’étalon d’or, par la très-bonne raison qu’étant producteurs et marchands d’or ils ne veulent pas déprécier leur marchandise. Or, pour arriver à une solution dans la question de la communauté des monnaies, comme dans presque toutes les questions de quelque importance, c’est avec l’Angleterre surtout que nous avons besoin de nous entendre. Il est donc très-probable que, tôt ou tard, l’étalon d’or finira par prévaloir[2].

  1. Voy. le relevé donné dans l’Annuaire du bureau des longitudes (année 1862, page 99)
  2. Je n’entends nullement désavouer ici ce que j’ai dit ailleurs des avantages de l’étalon d’argent ; mais il est difficile de ne pas reconnaître que nous glissons sur une pente qui nous conduit a l’étalon d’or.