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considérable et toujours croissant de personnes qui auraient le plus grand intérêt à l’établissement d’une monnaie commune à toutes les nations. La diversité des monnaies est pour les voyageurs une source continuelle d’embarras et de dommage. On a souvent raconté l’expérience faite par un de nos compatriotes, qui, en sortant de France, échangeait une pièce de vingt francs contre de la monnaie du pays dans lequel il allait entrer ; puis, à la frontière suivante, procédait à un nouvel échange pour remplacer la première monnaie reçue par celle du second pays dont il atteignait le territoire ; continuant la même opération, de frontière en frontière, le voyageur rentrait en France après avoir parcouru l’Italie et l’Allemagne, et, en échangeant une dernière fois la monnaie qui avait subi tant de transformations, il trouvait sa pièce de vingt francs réduite à moins de cinq francs. Je ne sais si l’anecdote est bien authentique, mais elle représente les faits. Et il importe de remarquer que le voyageur n’est pas seul à éprouver les inconvénients de la diversité des monnaies ; ces inconvénients sont plus ou moins sentis par toutes les personnes avec lesquelles il entre en contact, voituriers, hôteliers, marchands, etc. Il semble donc que tout le monde est en état de comprendre combien l’uniformité des monnaies serait désirable, et que les tentatives qui pourraient être faites pour établir cette uniformité trouveraient partout une majorité de gens disposés à les favoriser. Puisqu’il n’est guère permis de compter sur l’accomplissement simultané de toutes les réformes, puisqu’on devra se résigner à suivre un ordre quelconque, c’est par les monnaies qu’il est naturel de commencer, car c’est là qu’il y a en même temps le plus d’urgence et le plus de chances de succès.

II. — Choix à faire entre les deux métaux monétaires. — Un seul doit servir d’étalon. — La première chose à faire, pour arriver à l’établissement d’une monnaie universelle, c’est de déterminer si cette monnaie sera d’or ou d’argent. Il est très-facile de voir qu’on ne peut pas employer simultanément les deux métaux et leur conserver à tous deux le caractère de monnaie normale, comme cela se pratique maintenant en France ; on ne le peut pas, parce que le rapport entre la valeur de l’or et celle de l’argent n’est, ni le même partout, ni constant dans un même pays. Ce rapport a été fixé chez nous par la loi du 7 germinal an XI, dans la supposition qu’un poids donné d’or valait 15 fois 1/2 le même poids d’argent ; mais, en réalité, il a varié entre 15 et 16 depuis l’an XI seulement, et si l’on remonte plus haut, on trouve qu’il a subi à diverses époques des variations bien plus étendues. Nous avons pu, au reste, apprécier les conséquences de ces variations, même dans les limites étroites où elles se sont renfermées depuis l’an XI ; nous avons vu qu’en dépit du rapport fictif admis par la loi, un seul des deux métaux dominait dans la circulation et que le plus déprécié faisait toujours disparaître l’autre. Tant que le rapport est resté au-dessus de 15 1/2, l’or ne se montrait pas ; quand le rapport est descendu au-dessous, c’est l’argent qui s’est raréfié ; et si la différence entre le rapport légal et le rapport réel devenait plus grande, le mal pourrait s’aggraver au point d’ôter toute sécurité aux transactions, car la faculté laissée au débiteur de s’acquitter avec le métal le plus déprécié ferait peser sur le créancier des chances de perte qui resteraient indéterminées jusqu’au jour du payement. Il