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térielle l’élément étranger dont nous avons décrit le rôle : la superficie terrestre[1]. »

Et il ajoute en note : — « Faut-il dire que l’on ne crée pas plus les idées que la matière, mais pas plus aussi la matière que les idées. »

Dans l’intérêt de la cause qui nous est commune à M. V. Modeste et à moi, je ne puis m’empêcher de protester de toutes mes forces contre une pareille assertion. On ne crée pas la matière, mais on crée les idées. Le fonds commun des idées n’est point à l’égard de la propriété intellectuelle ce qu’est la superficie terrestre à l’égard de la propriété foncière. La superficie terrestre est un capital valable, appropriable, échangeable, produisant un revenu ; le fonds commun des idées n’est ni valable ni appropriable ; il n’est point échangeable ; il n’est point de la richesse sociale ; tout au plus est-il de la richesse naturelle. Il est en dehors de toute propriété. L’œuvre intellectuelle, au moins en tant qu’elle devient le théâtre des phénomènes de la valeur d’échange et de la propriété, sort tout entière de la personne, de l’intelligence et des mains du producteur. Le capital intellectuel appartient à son créateur en vertu du seul droit du travail. Et, qu’on le remarque bien, je ne parle ici ni de sa valeur ni de son origine morale, je parle de sa valeur vénale et de sa production économique ; c’est-à-dire que je m’établis et que je me maintiens rigoureusement au point de vue purement scientifique. Si M. V. Modeste tenait à réunir à tout prix le capital intellectuel à quelque autre espèce de richesse, il devait l’assimiler au capital artificiel, fruit du travail de nos facultés personnelles et de l’épargne bien plutôt qu’à la terre. Et combien toutefois n’eût-il pas été préférable de n’asseoir la propriété de la richesse intellectuelle que sur la seule étude de sa nature et de ses espèces !

Cette observation sera la dernière de celles que je me permettrai d’adresser à M. Y. Modeste. Aussi bien doit-on comprendre que si, selon moi, le judicieux économiste n’est pas entré dans la question par la grande porte de la science, il a pourtant trouvé moyen de s’y introduire par une voie qui, pour être indirecte, n’en était pas moins ingénieuse et hardie. En résumé, si je crois qu’il n’a pas élaboré la théorie scientifique, économique et philosophique définitive, de la propriété intellectuelle, je suis convaincu qu’il l’a remarquablement étreinte ; je crois enfin pouvoir assurer que tout lecteur qui le choisira pour guide, s’il n’arrive pas tout à fait au but, l’approchera de bien près.

Possédant ainsi, autant par le sentiment peut-être que par la raison, la solution du problème de la propriété intellectuelle, M. V. Modeste, comme M. F. Passy, défend cette solution contre les adversaires qui la repoussent. De cette défense je ne dirai rien sinon qu’elle est, chez M. V. Modeste, aussi brillante que chez son collaborateur.

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