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dire le droit de se servir de la chose, n’est point contesté à l’œuvre intellectuelle. Ce qui lui est contesté, ce qu’elle revendique, c’est le droit à l’exploitation, le droit de recueillir les fruits obtenus du fruit du travail par un travail nouveau ; c’est d’un mot, à titre de propriétaire, partant à titre exclusif, le droit de reproduire[1]. » — À merveille ! nous sommes dans le vif du problème. Mais je dirais, moi : — On ne conteste pas au producteur intellectuel la propriété du capital, fruit de son travail. Ce qu’on lui conteste, et ce que nous revendiquons pour lui, c’est la propriété du revenu de ce capital.

« Nous allons voir maintenant, poursuit M. V. Modeste, si, dans ces termes, l’œuvre intellectuelle réunit en soi les conditions de la propriété ; si elle concorde parfaitement avec le type choisi, la propriété foncière[2]. » — Eh bien ! c’est ici que, sans m’inquiéter de la propriété foncière, j’eusse répondu : — Je vais établir que le prix de vente du revenu d’un capital appartient généralement au propriétaire du capital ; que le producteur intellectuel est naturellement propriétaire du capital fruit de son travail ; qu’en conséquence le prix de vente des revenus intellectuels n’est dû qu’à lui.

Et je pense que cette méthode eût été préférable.

Cependant le motif pour lequel M. V. Modeste a cru devoir rattacher la propriété intellectuelle à la propriété foncière vient si bien à l’appui de ma thèse, et caractérise d’ailleurs si honorablement pour l’auteur la tendance éminemment scientifique à laquelle il obéissait, qu’il convient de la signaler ouvertement. La terre est un capital ; elle produit un revenu qui est l’énergie de sa fécondité naturelle ; ce revenu s’achète par un fermage, et le prix débattu, le prix à forfait du fermage, la rente foncière, en un mot est payée par le fermier au propriétaire foncier. Entrevoyant dans l’œuvre intellectuelle un capital engendrant un revenu, voulant instinctivement légitimer la vente de ce revenu au profit du propriétaire de l’œuvre intellectuelle, M. V. Modeste devait tenir à poursuivre l’assimilation. Mais si cette méthode offrait quelques avantages, elle avait malheureusement aussi ses inconvénients ; et pour avoir tenté d’obtenir une trop parfaite conformité, M. V. Modeste a, selon moi, failli compromettre sa cause. Croirait-on que sa méthode l’a conduit à vouloir fonder la propriété intellectuelle tout à la fois sur le droit du travail et sur le droit de premier occupant, chose dont, à ma connaissance, personne encore ne s’était avisé ?

« Les idées, dit-il, on le reconnait du premier coup, sont à ce point de vue dans le domaine intellectuel ce qu’est pour la propriété ma-

  1. Page 160.
  2. Idem.