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vrai : car il est certain qu’il suffirait, dans un traité dogmatique que ces considérations de droit naturel fussent appliquées, en quelques conclusions rapides, aux définitions purement économiques de la richesse intellectuelle. Tout serait dit.

Mais le travail de M. F. Passy est moins une œuvre de dogme que de polémique. C’est donc à la réfutation des arguments invoqués par les adversaires de la propriété intellectuelle qu’il consacre ses pages les plus nombreuses. Le premier de ces arguments consiste en ceci, que la propriété intellectuelle serait impossible, et son objet « insusceptible d’appropriation[1]. » C’est le point économique de la question qui de lui-même s’offre aux investigations de l’auteur. M. F. Passy oppose à cette fin de non-recevoir le démenti des faits. Je persiste, s’il faut le dire, à croire qu’une démonstration ex professo eût été non plus concluante, mais plus méthodique.

Un certain nombre de personnes, à ce qu’il paraît, ont cru devoir contester aux producteurs intellectuels le droit de propriété sur leurs œuvres, en se fondant sur ce raisonnement, que ces œuvres n’étaient que l’écho des idées communes, et que le véritable producteur intellectuel était la foule. Cette assertion a pu satisfaire et convaincre nombre de gens peu au courant du travail littéraire et artistique ; elle fera, j’en ai peur, sourire tout homme qui dans sa vie a quelquefois essayé de formuler une idée. Elle ne porte d’ailleurs, comme je me réserve de le signaler plus tard, que sur la valeur et l’origine morales de l’œuvre intellectuelle et non sur sa valeur vénale et sa production économique. Mais si l’argument est médiocre, les conséquences en sont curieuses. Il n’aboutirait à rien moins qu’à conclure à la propriété collective de la richesse intellectuelle ; aussi M. F. Passy a-t-il grandement raison de le renvoyer au communisme.

Il faut lire dans le travail de M. F. Passy la réfutation des autres arguments invoqués par les adversaires de la propriété intellectuelle. Elle est vive, éloquente et sans réplique. Elle eût été peut-être plus scientifique si l’auteur eût eu la pensée de donner une importance plus considérable à la partie économique de la question dont j’ai cru devoir signaler l’absence. Mais peut-être eût-elle eu moins d’à-propos : car avant de fonder la science, il convient sans doute d’avoir ruiné l’empirisme. Et d’ailleurs j’aurais d’autant plus mauvaise grâce à m’appesantir sur mes regrets vis-à-vis de M. F. Passy que, dans le livre qui m’occupe, c’est M. V. Modeste qui semble s’être réservé le rôle plutôt dogmatique. C’est donc à lui que je dois surtout m’adresser.

« Nous parlons de propriété, dit en débutant M. Victor Modeste. Qu’est-ce avant tout qu’une propriété ? Y a-t-il un droit de propriété,

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