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Et d’abord, ou le résultat du travail intellectuel est utile ou il est inutile. Dans le second cas tout est dit : le résultat du travail intellectuel n’est pas même de la richesse. Dans le premier cas, tout n’est pas dit encore : le résultat du travail intellectuel est bien de la richesse mais il n’est peut-être pas de la richesse sociale. Si la richesse intellectuelle est utile, mais illimitée en quantité elle ne sera point valable, elle ne sera pas davantage appropriable. En conséquence il n’y a pas lieu à faire une théorie de la propriété intellectuelle, pas plus qu’il n’y a lieu à faire une théorie de la propriété de l’air atmosphérique, de l’eau des fleuves, de la chaleur solaire, etc., etc. Mais si la richesse intellectuelle est tout ensemble utile et limitée en quantité, elle sera valable, elle sera appropriable ; elle sera possédée, échangée, et il est urgent de constituer la théorie de la propriété intellectuelle, comme la théorie de la propriété foncière, etc., etc.

Une chose à savoir, et très-nécessaire, pour résoudre le problème abordé par M. F. Passy, c’était donc si la richesse intellectuelle est ou non de la richesse sociale. Et toutefois, ce n’est pas tout encore ; car ce point n’est à tout prendre qu’une déduction particulière d’une question plus générale. La première chose à savoir et la plus nécessaire, à mon sens, en matière de propriété intellectuelle, c’était celle-ci : Qu’est-ce-que la richesse intellectuelle ?

En effet, au moment de constituer une théorie particulière de la propriété de telle ou telle portion de la richesse sociale, ne doit-on pas, si l’on veut agir méthodiquement, commencer par définir dans sa nature, dans ses espèces, cette portion de la richesse sociale, objet du droit de propriété ? Cela est évident. Cela même est d’une évidence telle que M. F. Passy lui-même ne peut échapper à cette nécessité de méthode. Il définit la richesse intellectuelle ; je trouve seulement qu’il ne la définit pas suffisamment. « Le producteur intellectuel, dit-il dans le passage que j’ai cité, — artiste, écrivain, musicien, etc., — est-il ou n’est-il pas propriétaire de son œuvre ? » Une œuvre intellectuelle, selon l’auteur, c’est donc une œuvre d’artiste, d’écrivain, de musicien, etc. La richesse intellectuelle, c’est l’ensemble des œuvres des artistes, écrivains, musiciens, etc. Je demeure convaincu que cette définition n’est pas suffisante ; et par malheur il n’y en a nulle part une meilleure ni même une autre dans le travail de M. F. Passy.

Ces restrictions faites, je n’ai plus qu’à louer.

La théorie de la propriété de M. F. Passy est celle qui fonde le droit d’appropriation sur la personnalité de l’homme et sur le travail ; il me paraît non-seulement qu’elle est bonne, mais que c’est même la seule bonne, ou du moins la seule philosophique. Quand l’auteur l’a donnée, — « nous pourrions, à la rigueur, dit-il, nous arrêter ici[1]. » — Cela est

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