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second, comme on peut voir, préoccupe surtout et tout d’abord l’auteur. Je puis dire dès à présent qu’il le préoccupe presque exclusivement. — « Pour résoudre ce problème, continue en effet M. F. Passy, une seule chose, à ce qu’il nous semble, est nécessaire à savoir : qu’est-ce que la propriété ? d’où vient-elle et en quoi consiste-t-elle ? Ce qui revient, ni plus ni moins, à cette interrogation primitive et suprême : La propriété est-elle légitime[1] ? »

J’en demande pardon à M. F. Passy ; mais il me semble qu’il avance à pas trop pressés dans la question, et qu’avant de se demander même si la propriété est légitime d’une façon générale, il y avait autre chose, et quelque chose de plus nécessaire encore à savoir. Je m’explique.

« Les choses ne se payent pas, dit plus loin l’auteur dans son travail, en raison du nombre d’heures qu’il a fallu pour les faire, ou de l’intensité visibles des efforts qu’elles ont coûté mais en raison de leur utilité et de leur rareté[2]. » M. F. Passy est en cela d’accord avec toute l’école ; et les économistes sont tous aujourd’hui parfaitement renseignés sur l’origine de la valeur vénale. Mais ce que tous ne paraissent pas savoir, ou tout au moins exposer aussi nettement, c’est que l’origine de la valeur est aussi celle de la propriété.

La limitation dans la quantité des utilité, qui les fait rares, les fait du même coup et valables et appropriables. L’appropriation n’est pas, à vrai dire, la propriété tout entière, elle est uniquement la propriété à l’état élémentaire, la propriété moins la légitimité, moins la sanction de la justice. Mais si l’on considère que l’appropriation, dès l’instant qu’elle se produit du fait de l’homme libre et responsable, tombe sans retard dans le domaine de la moralité et ressort immédiatement des axiomes du droit naturel, on peut énoncer que la valeur d’échange et la propriété naissent ensemble de la rareté ou de la limitation en quantité des utilités.

Ainsi l’on peut dire que les choses utiles qui sont illimitées en quantité : l’air atmosphérique, l’eau des fleuves, la chaleur solaire, etc, etc., ne sont ni valables ni appropriables. Et l’on peut dire aussi que toute chose valable est appropriable, et que toute chose appropriable est valable. On peut dire que partout où il y a valeur d’échange il faut qu’il y ait propriété, et que partout où il y a propriété il doit y avoir valeur d’échange. Ce qui revient encore à énoncer en d’autres termes que la propriété ne porte que sur la richesse sociale et qu’elle porte sur toute la richesse sociale.

Cette observation, je l’avoue, me paraît fondamentale ; et ses applications à la question de la propriété intellectuelle me semblent, au point de vue de la méthode, d’une importance considérable. Elles sont faciles à prévoir.

  1. Page 7.
  2. Page 48, note 4.