que personne, il me semble, n’a le droit de rechercher publiquement, et ce que la conscience seule de l’auteur est autorisée à lui rappeler à tout instant, soit avec fierté, soit avec reproche. Allons même aussi loin que possible sur le terrain de la moralité littéraire, nous n’y saurions rencontrer jamais ni la science de l’échange ni le droit naturel. Les œuvres de cet écrivain sont-elles bonnes ou mauvaises au point de vue des intérêts scientifiques ou selon les règles de l’art ? La critique est là pour le dire. Ses doctrines ne sont-elles point perverses et dangereuses, ses peintures déshonnêtes et corruptrices ? La société, jugeant par ses magistrats et par ses jurés, appréciera. Que peut avoir à faire en tout cela le droit de propriété ?
Maintenant, si les œuvres d’un auteur, intéressées ou généreuses, bonnes ou mauvaises, constituent de la richesse sociale, valable, appropriable, échangeable, dans quelles limites les principes et les définitions du droit naturel permettront-ils de déclarer cet auteur propriétaire de cette richesse ? Voilà quelle est véritablement la question de la propriété littéraire, ou toute considération de moralité privée ou publique, répressive ou préventive, serait mal fondée à intervenir.
Élargissant autant que possible le cercle de la question, ne considérant plus la propriété littéraire en particulier, mais la propriété intellectuelle en général, nous aurons donc à nous demander :
1o Qu’est-ce que la richesse intellectuelle ? La richesse intellectuelle est-elle valable et appropriable ? est-elle échangeable ? est-elle, en un mot, de la richesse sociale ?
2o Si la richesse intellectuelle est de la richesse sociale, qui peut avoir sur elle un droit naturel de propriété ?
Tels sont, à mon sens, les deux points principaux de la question de la propriété intellectuelle ; et je vais y rapporter tout entière ma critique du livre de MM. F. Passy, V. Modeste et P. Paillottet. En dehors de ces deux points, on pourra tout prouver, sauf ce dont il serait intéressant pour moi de me convaincre ; et ces deux points une fois élucidés au-dessus de toute espèce de contestation, le problème sera, je crois, en grande partie résolu. Le premier est un point d’économie pure ; le second un point de droit et d’application du droit à l’économie. Ceci soit dit en passant pour constater que des économistes, et des économistes distingués tels que sont MM. F. Passy, V. Modeste et P. Paillottet étaient plus que personne compétents en matière de propriété intellectuelle.
« Y a-t-il ou n’y a-t-il pas une propriété intellectuelle ? se demande M. Frédéric Passy. Le producteur intellectuel — artiste, écrivain, musicien, etc., — est-il ou n’est-il pas propriétaire de son œuvre[1] ? » Des deux points en qui j’ai résumé la question de la propriété intellectuelle, le
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