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de douloureuses expériences, qui ont été et seront encore tentées sur l’humanité, tanquam in anima vili. Le premier obstacle est une ignorance universelle, fruit du système de l’enseignement public, qui lance la jeunesse dans la voie du passé, et lui cache tout ce qui pourrait la guider dans l’avenir ; le second obstacle est dans les préjugés et les passions des protectionnistes, qui conduisent aux barrières entre les peuples, aux haines de nations, à l’étiolement de l’industrie et au rabougrissement des populations ; le troisième obstacle est dans les illusions socialistes, qui poussent les pouvoirs publics dans l’emploi de procédés incohérents, artificiels, malfaisants et ruineux.

L’ignorance sera vaincue ; les nouvelles institutions politiques dissoudront avec le temps tous ces brouillards qu’ont faits les écoles bâtardes du passé, et notamment l’école universitaire impérialiste, qui a puisé une nouvelle force dans la Restauration et l’établissement de Juillet. Le parti protectionniste verra crouler une à une, par la force des choses, les bases de sa théorie ; les faits finiront par crever les yeux, et l’intérêt des masses devenant, comme c’est juste, la loi suprême, le pouvoir sera entraîné à émanciper nos manufacturiers malgré eux.

Quant aux socialistes, les voilà enfermés dans la tour de Babel, et obligés de s’expliquer entre eux. Relativement aux trois quarts des procédés qu’ils ont prônés, il ne résultera du conflit dans lequel ils se trouvent engagés que confusion et déception. Quant à l’autre quart, sur lequel ils parviendront à s’entendre, remarquez bien qu’il portera, sauf très-peu d’exceptions, sur des idées que Quesnay, Turgot, Adam Smith, Malthus, Say et autres ont déjà complétement élucidées, et qui rentrent dans le domaine du sens commun économique.

Personne mieux que nous n’a rendu hommage aux talents et aux brillantes qualités de quelques adeptes des écoles socialistes ; talent d’élocution, talent de style, imagination, enthousiasme, passions généreuses (abstraction faite d’un peu de haine, d’injustice et parfois de grossièreté à l’égard de l’école libérale) ; mais nous avons toujours dit et nous maintenons que toutes ces belles intelligences s’étaient fourvoyées ; qu’Hercules modernes, ils avaient entrepris de soulever l’impossible, et nous avons été réduits à admirer la beauté de leurs muscles en même temps que l’inanité de leurs efforts.

Les socialistes, les communistes surtout ont vécu jusqu’ici à l’ombre des prohibitions politiques. Tenus de s’expliquer et d’agir désormais au grand air de la liberté, ils verront leur conviction s’évanouir, et il ne leur restera de l’ensemble de leurs idées que ce qu’il y a de vrai et de praticable. Or, ce qu’il y a de vrai et de praticable en eux ne leur appartient pas exclusivement ; c’est le fonds commun de toutes les théories qui ont la société pour but. Ajoutons que de temps en temps un socialiste se détache de la ruche où il a grandi, pour protester contre les illusions de sa jeunesse, et pour entamer avec son école un combat profitable à la vérité universelle.